« À Pâques, Thérèse ma marraine, ma débonnaire et macabre tante, m’offrait le traditionnel lapin de Pâques, un kouglof marbré, fait maison, saupoudré de sucre glace et dans lequel se cachait une pièce de dix shillings. Tout autour du kouglof, reposant en leur nid de papier verdâtre, des œufs de poule peints et laqués à la couenne de porc sur lesquels de petits autocollants figuraient l’agneau pascal et la bannière de la Résurrection, de petits œufs de Pâques en chocolat et un agneau pascal en chocolat. Mais c’est à Pâques, par-dessus tout, que je recevais mes habits et mes souliers du dimanche pour l’année entière. Quand il était prévu qu’on m’offrît un complet, nous allions Thérèse et moi, deux mois avant la semaine sainte, à Paternion, où, dans son atelier qui sentait la cigarette et les étoffes neuves, que chauffait un poêle de faïence, le tailleur, avec son vieux mètre gradué, prenait mes mesures, m’enroulait le ruban jaune autour des hanches, s’agenouillait devant moi et, de ses mains tremblotantes, me tripotait la braguette. Un jour que Thérèse, comme à son habitude, nous avait apporté la corbeille de Pâques pour le samedi saint – je restais assis la moitié de la journée sous le crucifix de la cuisine attendant fiévreusement ma marraine –, j’eus la surprise de voir ma mère, si distante, étreindre sa belle-sœur et la remercier de ses généreux cadeaux de Pâques. « Le plus touchant de tous les signes de vie : la faroucherie », écrit Peter Handke dans ses carnets, Hier en chemin. Et, m’en allant sur la neige tôlée des champs hivernaux, j’apportai jour après jour, en témoignage de reconnaissance, à Thérèse, la sœur aînée de mon père, qui n’eut jamais d’enfant, vécut avec son mari – un ouvrier de l’usine Heraklith, à Fendorf, qui mourut d’un cancer du poumon – dans la maison de sa sœur cadette, un grand pot de lait de vache frais. Elle le vidait alors, sans le nettoyer jamais, déposait dans le récipient émaillé marron les biscuits de pain d’épices, les sablés à la vanille, les macarons à la noix de coco. Et quand, repassant sur la neige durcie des champs, écrivant dans ma tête mes premières histoires, je rentrais à la maison, les gâteaux étaient tout imbibés de lait, bon nombre d’entre eux se désagrégeaient déjà. Nous mangions jusqu’au dernier, ma mère et moi, assis à la table de la cuisine, ces biscuits qui avaient un léger goût beurre rance. »
Josef Winkler
Mère et le crayon
Traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay
Coll. « Der Doppelgänger », Verdier, 2015