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Écrivains - Page 57

  • Lu Yu, « Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise »

    lu yu,levieil homme qui n'en fait qu'à sa guise, moundarren

    La chambre chaude

     

    ma fourrure douce est supérieure à du renard blanc

    mon poêle est aussi chaud que ceux chauffés au charbon de première qualité de la Cour

    le paravent en papier a la forme d’une montagne

    la couverture en tissu ressemble à un quadrillage de calligraphie

    pour ménager mes yeux le store est rarement enroulé

    pour préserver l’encens la porte est souvent fermée

    au soleil du crépuscule d’un profond sommeil je me réveille

    je me lave et scande les classiques de la Cour jaune*

     

    Lu Yu

    Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise

    poèmes choisis et traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 1995, rééd. 2012

     

     * Les Classiques de la Cour jaune : les Classiques taoïstes

  • Colette Mazabrard, « Monologues de la boue »

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    © Michèle Moulonguet

     

    « En lisière d’un bois, quelques kilomètres après Uzemain.

    “Faut vous trouver un sapin”, t’a conseillé le paysan qui épandait des puanteurs sur son champ moissonné. Nuit bombardée d’écales de pommes de pin. Compagnie des martres et des écureuils. D’un pic à forte tête. Il serait raisonnable de jeter tes chaussettes.

    Elle parle du travail : “Jusqu’à présent, ça se passait bien, animer des équipes, varier les chantiers, varier les tâches. Mais voilà, tu comprends que quelque chose ne va plus quand on te demande d’écrire ce que tu fais, heure par heure, jour par jour. Tu comprends que tu dois partir.”

    En Asie, il existe une technique de méditation où l’on se retire, pendant dix jours, dans le silence et la pénombre des paupières closes, et se livre quotidiennement au même rituel. Ton esprit constamment confronte la carte de géographie au voyage réel, au sol heurté, compare les centimètres dessinés aux champs et forêts que le regard mesure.

    Le paysage est découvert selon le déplacement de la ligne d’horizon.

    Une ombre sur la carte, les courbes de niveau plus sinueuses, tu vois la Saône, aux eaux rondes et fortes rouler à ta droite entre les racines des arbres qui tirent leur tronc très haut là-bas vers la lumière, entre les collines, des troncs qui s’étirent vers le ciel aussi haut que ceux que tu as vus dans les Himalayas il y a des rêves de cela (cette lumière d’automne qui t’assaille, qui te troue, te ramène ailleurs tu ne sais plus dans quel passé).

    Les pieds son trempés et les orteils se fripent, tu saignes dans les bois, laisses ton sang dans l’humus fabriquer tu ne sais quoi.

    La rivière a creusé une fente dans le paysage. »

     

     Colette Mazabrard
    Monologues de la boue
    Verdier, 2014

  • Antonio Moresco, « La petite lumière »

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    « Le monde change devant mes yeux. La terre est encore plus froide. Les feuilles se racornissent, tombent. Il en reste quelques-unes, çà et là, qui pendent au moignon d’une branche. Les arbres sont toujours plus nus. On ne distingue plus les morts des vivants.

    Je marche sur un tapis de feuilles cramées qui crépitent sous mes pas. Elles recouvrent entièrement les sentiers, je perçois le craquement de leurs nervures et de leurs tissus inanimés qui se brisent sous le poids de mon corps vertical qui pèse sur la terre. On n’entend presque plus de bruits, dans la forêt. Les animaux sont déjà entrés, ou se préparent à entrer, en hibernation. Ils creusent leurs petits trous dans la terre froide qui, la nuit, commence à geler et qui est déjà recouverte des premières légères chutes de neige, laissant ce voile blanc qui fond au premier soleil du jour. Ils creusent tête en bas, avec leurs ongles, avec leurs dents, pour arriver plus profond sous la terre, là où est restée un peu de chaleur.

    Ce matin dans une ruine, j’ai surpris un groupe de chauve-souris qui hibernait. Je marchais dans les ruelles désertes, entre ces murs recouverts de plantes grimpantes et cette végétation sèche et ces arbres poussés au milieu des pierres, entre ces escaliers disjoints qui montent jusqu’aux portes des maisons inhabitées. Je suis passé devant une ruine où je n’étais jamais entré. C’est étrange, cet endroit est si petit et pourtant je ne le connais pas encore complètement ! J’ai poussé du pied la porte à présent sortie de ses gonds. Elle s’est ouverte. Je suis entré. Il faisait sombre à l’intérieur, parce qu’il n’y avait pas une fenêtre. Seulement des murs en pierre et un plafond en planches, là, en haut. Tout à coup, j’ai vu en face de moi un grand nombre de chauve-souris, tête en bas, qui me fixaient de leurs yeux grands ouverts. Il y avait donc un peu de lumière, celle qui entrait par la porte que je venais d’ouvrir, même s’il semblait faire nuit. À moins qu’elle ne soit directement sortie des cercles de leurs yeux terrorisés, réveillés pendant leur hibernation. Ça a duré une fraction de seconde. Les enveloppes de tous ces corps qui, jusqu’à une seconde auparavant, étaient tête en bas, enveloppés dans les membranes de leurs noires ailes de peau, accrochés par leurs pattes aux vieilles poutres et aux saillies des murs, se sont mises subitement à voler, terrorisées, à la recherche d’une issue. Je me suis jeté contre le mur. Leurs corps noirs affolés cognaient contre les parois et le plafond. Puis elles ont trouvé le passage de la petite porte par où j’étais entré et, me heurtant de tous côtés, elles ont volé dehors dans un tourbillon d’yeux et d’ailes nues.

    Avant d’aller dormir, j’ai regardé un long moment la petite lumière. Depuis quelques temps elle brille encore plus intensément, me semble-t-il, parce que l’air est plus froid, le ciel plus limpide. »

     

     Antonio Moresco

     La petite lumière

     Traduit de l’italien par Laurent Lombard

     coll. « Terra d’altri », Verdier, 2014

  • Juliette Mézenc, « Elles en chambre »

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    « Parce que si on écrit de tout son corps… qu’en est-il des auteurs qui écrivent avec un sexe de femme ? Le sexe ne fait-il vraiment rien à l’affaire, comme le proclamait Monique Wittig : “on est écrivain ou pas” ? Nombreuses aujourd’hui sont les femmes qui écrivent, et c’est sans précédent, la littérature s’en trouve-t-elle modifiée ? Sachant par ailleurs qu’entre Barbie et sa rivale Bratz la guerre désormais fait rage, comprendre qu’elles se portent comme des charmes, que les moules sexués semblent loin bien loin d’être brisés, qu’en est-il de la femme qui écrit, échappe-t-elle à son genre ?

     

    Parce qu’écrire c’est s’arracher, faire cette tentative de bondir hors des frontières, celles assignées par la nationalité, le genre, l’espèce, hors des murs de l’identité qui délimitent trop souvent le territoire d’un moi étriqué et mesquin, hors de ce que l’on croit connaître, savoir, hors des formes répertoriées qui ronronnent, partir ! Le travail, quelle belle chose parfois ! et parce que c’est en poïeinant et en se réjouissant de poïeiner qu’on pourra faire la nique à tous ceux qui nous coupent de cette sauvagerie, ils sont légion (poïeinerie, n.f. du grec poiein “faire, fabriquer, produire, créer” qui a également donné poiêma puis poème, bref : poïeinerie = travail sauvage et irrécupérable).

     

    Parce que je crois sentir, encore, malgré tout, dans ma bouche, parfois, le fantôme de Scold’s bridle*…

     

    Parce qu’heureusement Virginia Woolf**… »

     

    Juliette Mézenc

    Elles en chambre

    L’Attente, 2014

     

     * Scold’s bridle est un dispositif de punition utilisé en Écosse puis en Angleterre jusqu’au xixe siècle à l’encontre des femmes dont le discours était jugé « médisant », « séditieux » ou « gênant ». Il s’agissait d’une muselière de en fer avec un mors, souvent garni de pointes, qui prenait appui sur la langue.

     

    ** Une chambre à soi est une conférence que Virginia Woolf a donnée à des étudiantes de l’Université de Cambridge sur les conditions matérielles et culturelles de la création.

  • Pierre Albert-Birot, « Grabinoulor »

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    Cette page est dédiée à Sylviane

     

    Extrait du chapitre seizième : On ne sait pas si Grabinoulor a les cheveux frisés mais on sait qu’il prédit l’individuïsme absolu qu’il construit le Château des Poètes et qu’il va voir Dieu

     

    «  […] à bien réfléchir le meilleur château pour eux est encore celui que chacun se construit personnellement le plus souvent en Espagne pays des grenadiers (fruits) de la sorte il est à la taille et aux commodités de qui l’habitera car en effet qu’auraient pu faire et comment auraient pu marcher poétasser et dormir dans ce château-monde édifié par Grabinoulor tous ces bouts de poètes auteurs de huit pages in 8° pleines de huit poèmes de douze vers oui on peut se poser la question et y répondre sans se mordre la langue – heureusement car ce n’est pas agréable de mordre dans cette personnelle viande-là – mais enfin Grabinoulor prétend que cela fait tout de même 96 vers ou soi-disant vers et que si méchants soient-ils – les vers et pas les poètes ni les chiens – leur auteur est quand même un poète puisqu’il a eu mais oui une intuition poétique assez ventrue pour qu’il en vint à la désentrailler et à la poser en forme de figure de mots sur un papier mais oui mesdames et messieurs écrire un poème voire un peu nul c’est faire son “Dieu dit et le Monde fut” c’est donc assez conclut Grabinoulor pour qu’il soit en état de construire tranquillement son petit château châtelet ou castelet (bonjour guignol) bien à lui “Çamsufi” où il pourra pieusement conserver ses huit pages car c’était surtout pour que les écritures des poètes (les 8 pages comme les 300) ne traînent pas dans les poubelles à bouquins au choix 1 franc – car on les y jette même quand ils sont de simples “bouquins” brochés – que Grabinoulor avait eu la fraternelle attention de construire son Château des Poètes peut-être plutôt Château des Poèmes […] »

     

    Pierre Albert-Birot

    Les six livres de Grabinoulor

    Jean-Michel Place, 1991, rééd. 2007

  • Claude Rouquet. L'hommage d'Allain Glykos

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    leur dernière rencontre, L'Échappée, 30 novembre 2014 © CC

     

    Tristesse d’avoir perdu un ami. Tristesse  d’avoir perdu l’éditeur qui a fait preuve à l’égard de mon travail d’une  exigence et d’une fidélité sans faille.
    Il aimait la littérature et les livres à un point qui me fait blêmir. Il avait de l’estime et du respect pour ses auteurs.

    Ma  seule consolation est qu’il a rejoint, n’en doutons pas, ces galopins  de Charlie et qu’avec eux, il va s’en payer une bonne tranche sur notre  dos de vivants. Car lui aussi était de la race des irrévérencieux jusqu’à la caricature quand il le fallait. Il ne dessinait pas mais avait un  bon trait d’humour. Il savait rire de lui avec férocité, des autres avec  bienveillance. On éprouvait pour lui quelque fois un peu d’agacement,  souvent de la tendresse. Son intransigeance inspirait le respect et  pouvait déclencher aussi des sourires amusés. Il était sans  complaisance, sans concession. Il en a payé le prix. C’est à ce prix  qu’il a mené d’une main ferme sa grande petite maison d’édition.

     
    Amitié à tous ceux qui l’ont aimé.

     

    Allain Glykos

  • Pascal Quignard, « Les désarçonnés »

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    photographie © :CChambard

     

    Chapitre xlii

    Ovide

     

    « L’anthropomorphose n’est pas achevée.

    On ne peut définir l’homme sans en faire une proie pour l’homme.

    La question humaniste : “Qu’est-ce que l’homme ?” énonce un danger de mort.

    Si on forme le vœu de ne pas exterminer les humains qui ne répondent pas à leur définition – religieuse, biologique, sociale, philosophique, scientifique, linguistique, sexuelle – l’homme doit être laissé comme incompréhensible.

    Ovide : L’homme doit être laissé comme non fini, c’est-à-dire comme appartenant à une espèce en cours de métamorphose infinie dans une nature qui est elle-même une métamorphose infinie. »

     

     Pascal Quignard

    Les désarçonnés

    Grasset,  2012

  • Armand Dupuy, « Sans franchir »

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    photographie © jean-marc undriener

     

     

    « Privilège de la neige où les jours se touchent,

    pendus – on ne tient qu’à grand peine ses

    pelures, ce tas de temps. On attend dans les

    yeux jusqu’à la fonte, on touche autrement.

    On récite ce fléchissement, les mains passent,

    la tête recule – ce froid, ce blanc. Ce blanc

    froid sur tout. Les pensées touchent les autres,

    elles reculent. Elles font du blanc ce blanc neuf

    et couvert. On peine à venir dans la phrase,

    trop vite épuisée. Vite essouflée. On empêche

    ce qu’il faudrait poser. C’est une quantité de neige

    dans la bouche : l’image vient bête, on s’attarde.

    Les pensées se touchent, les jours aussi, les mains. »

     

    Armand Dupuy

    Sans franchir

    Faï fioc, 2014

    http://editions-faifioc.com/

  • Amelia Rosselli, « Document »

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    « Sans toi

    transpercé, je ne sais pas détacher la connaissance

    de l’avortement de fer

    (comme d’un candide petit lit d’enfant

    séparé).

     

    Puis j’ai retrouvé une lumière

    intacte, qui était une sorte de paradis

    mal digéré.

     

    Une paire d’yeux célestes incertains,

    un rêve ou deux,

    là-bas dans la pinède malodorante ;

    je ne sus plus

    croire à la réalité avec certitude en la guidant

    dans des bois moins amoureux. »

     

     Amelia Rosselli

    Document – 1966-1973

    traduit de l’italien et postfacé par Rodolphe Gauthier

    suivi de Mots pour Documents par Olivier Gallon

    La Barque, 2014

  • Reinhard Jirgl, « Rénégat »

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    « Au temps de mon enfance, je croyais que Toutechose dans-la-ville était habitée par des gens : qu’ils vivaient dans les troncs d’arbres sous les pavés dans les boîtes aux lettres les pendules les coffrets électriques les colonnes Morris les caisses de sablage les lampadaires sous n’importe quel escalier dans toutes les pièces. Poussées près d’une fenêtre, des chaises sont ainsi capables de regarder avec plus d’attention que maint homme assis sur elles ; des tables meublent souvent une pièce plus éloquemment que leur propriétaire – : les choses vivent !humainement. Et comme les objets=deleurcôté sont animés par des hommes qui y injectent le sang, choses=é=gens=vivaient=en=paix. Aussi touteléchoses étaient-elles aimables entre elles é nulle part il n’y avait de dangers à l’affût….. Et après les averses, quand de grosses flaques stagnaient dans les rues – le ciel et ses nuages y sombraient profondément –, je jetais des pierres dans l’eau ; de grosses pierres pour sauter de l’une-à-l’autre & franchir les flaques. Et je m’arrêtais au beau milieu, regardais au fond de cette gorge-d’eau –:– Un frisson à l’idée que je pourrais glisser de cette branlante digue de pierres – et tomber dans le ciel profond tacheté de nuages = là-bas dans la luminosité claire é fraichie d’après la pluie. Dans cet abyme céleste, je pressentais une présence obscure, prête à m’engloutir, à m’empoigner –, son nom, je ne l’ai su que plus tard : le mortel ennui de la vie, long & impitoyable….. Autrefois je jetais des pierres dans les flaques comme plus tard mes phrases sur le papier. – (Et au milieu de la nuit dernière ce frisson devant l’ombre qui tailladait la lumière comme 1 lame de couteau…..) »

     

    Reinhard Jirgl

     Rénégat Roman du temps nerveux

     Traduit de l’allemand par Martine Rémon

     Quidam, 2010

  • Péter Nádas, « La fin d’un roman de famille »

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    « Au pied d’un sureau, entouré de buissons de lilas et de noisetiers, non loin de cet arbre dont on voyait quelquefois bouger une feuille même quand il n’y avait absolument pas de vent, nous étions trois : papa, maman et l’enfant. J’étais le papa, Eva la maman. Dans le buisson, il faisait éternellement nuit. “Toujours dormir ! Pourquoi faut-il toujours dormir ?” Maman a déjà couché l’enfant. “Papa, raconte une histoire à l’enfant !” Bruit de casseroles : elle était censée faire la vaisselle dans la cuisine. Assis à mon bureau et feignant d’apprendre dans Nina Potapova*, je me levai aussitôt pour aller dans la chambre de l’enfant : celle-ci était bien douillette, toute tapissée de foin. Je m’assis su le bord du lit et attirai la tête de l’enfant sur mes genoux, passai mes doigts dans ses cheveux mouillés et mes bras autour de son cou. J’avais l’impression d’être caressé par ma propre mère. En plaquant ma main sur son front moite, je ne savais plus si c’était son front ou ma main que je sentais. Une grosse veine courait sur son cou. Si j’ouvrais cette veine, tout son sang se viderait. Dans la cuisine, Eva continuait à agiter les casseroles. “Dépêche-toi de finir ton histoire, papa, nous allons être en retard pour la soirée.” Elle, elle voulait toujours aller à une soirée, mais moi je n’étais pas pressé de finir mon histoire, j’aimais le contact de cette tête humide sur mes genoux. »

     

     Péter Nádas

    La fin d’un roman de famille 

    Traduit du hongrois par Georges Kassai

    Le Bruit du Temps, 2014

    * Auteur du seul manuel de russe en usage en Hongrie dans les années cinquante et dont se servaient aussi bien les étudiants que les fonctionnaires de l’État et du parti.

  • Peter Handke, « Hier en chemin »

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    « Dans la nuit profonde j’escortais un chariot tiré par un bœuf qui descendait un chemin creux de montagne. Je caressais sans cesse la tête fine, sombre, lisse du bœuf, qui avait un corps bien souple et ferme et, tout en tirant le chariot, broutait en passant l’herbe qui poussait sur le bord des chemins. Il appartenait à une belle femme qui me l’avait confié. Et par cet animal l’amour s’éveillait entre nous (15 avril)

     

    Raconter, et le risque de trahir : toujours ce dilemme. Alors ne pas (ne rien) raconter ? Mais le psaume du désir malgré tout. S’avancer dans le récit sur ce chemin des psaumes, lui qui sauvegarde, rend justice, ne se perd jamais dans les détail qui trahit : à quoi s’accorde toujours le bon moment

     

    Il glissa le battement de son cœur dans son oreille, et Van Morrison chantait : “It’s a marvelous night for a moondance.” Et il avait envie de se taire avec elle pour toujours, de ne plus jamais, ensemble, ouvrir la bouche pour dire un seul mot, de “faire silence” ensemble (et ces mots de Hugo Wolf à Frieda Zimmer : “Puissions-nous seulement passer […] notre vie à rêver l’un contre l’autre, les yeux confondus”) (23 avril 1990/3 mars 1894) »

     

    Peter Handke

     Hier en chemin – Carnets, novembre 1987-juillet 1990

     Traduit de l’Allemand (Autriche) par Olivier Le Lay

     Coll. « Der Doppelgänger », Verdier, 2011