Claude Roy, « Déjà tard »
© Marc Riboud
« On a longtemps marché Il était déjà tard
La nuit tombait très vite effaçant l’horizon
À un tournant de la route on a vu la maison
On devinait de la lumière à la jointure des volets
On a cherché la sonnette à la droite de la grille
Un rectangle de clarté s’est ouvert dans le jardin
et dans le long froissement des feuilles mortes sous les pas
quelqu’un est venu à la rencontre tandis qu’on ouvrait la grille
Elle a grincé sur ses gonds et raclé un peu de gravier
exactement comme autrefois avec exactement l’odeur
de feuilles et de bois brûlé et de lierre sur la façade
avec exactement les neuf coups de neuf heures au clocher de l’église
leur son exactement comme autrefois quand on avait douze ans
En s’approchant on a reconnu celui qui venait à la rencontre
C’était moi autrefois un peu plus distrait qu’autrefois
triste d’avoir tout seul attendu si longtemps
que je revienne sur mes pas et me rencontre enfin un soir
après avoir marché des années quand la nuit tombe déjà
et que déjà le noir efface l’horizon
Le Haut Bout
jeudi 10 novembre 1983 »
Claude Roy
« Automne », in À la lisière du temps
Gallimard, 1984
Rééd. Poésie/Gallimard, 1990