« À l’enfant que j’étais point ne plaisait le monde
Et mon cœur pour les monts était tout plein d’amour.
Mon erreur m’a jeté dans les filets du siècle
Et trente années, pas moins, se sont ainsi enfuies.
L’oiseau tenu en cage se languit de ses bois,
Le poisson du bassin rêve de son étang.
J’ai défriché un champ dans les landes du sud :
Le rustre que je suis s’en revient à la glèbe !
Je ne possède en tout que quelques dix arpents
Une étroite chaumière de huit ou neuf travées.
L’arrière est ombragé d’ormes et de grands saules,
Le devant est planté de pêchers et poiriers.
Dans un lointain diffus s’aperçoit un village
D’où montent alanguies des fumées paresseuses.
Là-bas des chiens aboient au détour des ruelles,
Les coqs lancent leur chant tout en haut des mûriers.
Mon portail et ma cour ignorent la poussière,
Je goûte un long loisir dans la chambre déserte.
Je suis bien trop longtemps resté dans une cage,
Mais je retrouve enfin toute ma liberté.
* * *
Je reviens grommelant, m’appuyant sur ma canne ;
Le chemin, très pentu, contourne les fourrés.
L’eau du ru montagnard est très pure et très claire ;
C’est tout ce qu’il me faut pour me laver les pieds.
Je vais tirer du vin, du vin nouveau, bien chaud,
Je saisis un poulet, j’appelle mes voisins.
Le soleil s’est couché et l’ombre emplit la pièce ;
Un bon feu de broussailles nous tient lieu de lampe.
Alors la joie s’en vient. Hélas, la nuit est brève
Et voici que déjà un nouveau jour se lève. »
Tao Yuanming – 365-427
Le retour aux champs
– série de cinq poèmes, ici le premier et le dernier –
in « Les Six Dynasties et les Sui »
traduit du chinois par François Martin
Anthologie de la poésie chinoise
La Pléiade, Gallimard, 2016