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Un nécessaire malentendu - Page 55

  • Chao Zhongzhi, « En route de nuit »

    chao zhongzhi,stéphane feuillas,anthologie de la poésie chinoise,pléiade  gallimard

    Shi T'ao, 1642-1707

     

    « Plus je vieillis, plus le désir des mérites et de la renommée s’estompe,

    Et sur ma pauvre haridelle, seul, j’emprunte la longue route.

    Dans le village isolé, des lampes qui luisent jusqu’à l’aube

    M’informent que toute la nuit quelqu’un a lu des livres. »

     

    Chao Zhongzhi (1072 - ?)

    La dynastie des Song du sud (1127-1279)

    Traduit par Stéphane Feuillas

    In Anthologie de la poésie chinoise

    Pléiade / Gallimard, 2015

  • Jacques Roman / Bernard Noël, « Du monde du chagrin »

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    « J. R. – Le fleuve de l’écriture, ses deux berges, la berge de la jouissance, la berge du chagrin, et dans les profondes rainures du fond de son lit, la musique, seule puissance à unir en fête cela qui à fleur d’eau tourbillonne, tourbillonne.

     

    B. N. – L’écriture invente à mesure ce dont elle fait semblant de parler afin de disposer d’un alibi devant la réalité Peu lui importe son sujet, mais il lui en faut un comme outil pour creuser son lit dans l’inconnu. »

     

    Jacques Roman, Bernard Noël

    Du monde du chagrin

    Paupières de terre, 2006

  • Emmanuel Darley, « Des petits garçons »

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    « Je suis un petit garçon qui joue dans une maison. Je galope dans le couloir, je suis un cavalier, dépassant son ombre, soulevant la poussière. À la sortie du canyon, j’entre dans le salon. Un monsieur m’attend. C’est un petit homme un peu rond, avec, retenu par une ceinture de cuir, un ventre qui dépasse. Il me prend par la main, il m’entraîne vers l’entrée. Nous descendons l’escalier, nous passons la porte cochère, nous marchons dans la rue. Je me tourne vers la maison. Elle est à la fenêtre, elle me regarde partir, ne fait pas un geste. Main dans la main, le petit homme et moi, nous prenons le chemin de la promenade. »

     

    Emmanuel Darley

    Des petits garçons

    P.O.L, 1993

  • Ludovic Janvier,« La confession d’un bâtard du siècle »

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    « Tu aimes rester longtemps debout sous l’odeur du figuier, tu aimes écouter le grincement de la brouette pleine d’herbe aux lapins, tu aimes rentrer lentement de la messe en freinant la journée du dimanche, tu aimes écouter le tombereau passer à vide avec son bruit carré, tu aimes les énormes jambes de la Lisette la jument avec ses poils comme des gros cheveux, tu aimes le sifflement de la meule mouillée quand on aiguise les serpes et les faucilles, tu aimes cueillir les arbouses sur leur arbre en bordure du bois, tu aimes quand tu te torches avec des poignées d’herbe et qu’on entend le coucou, tu aimes quand l’orage noir éclate en tonnes de pluie qui mitraillent, tu aimes le silence à midi avec au milieu le bruit du seau qu’on remonte du puits, tu aimes le froissement de drapeau fait par les ailes de la buse qui remonte au ciel, tu aimes écouter le vent dans les feuilles du petit palmier qu’on appelle satre, tu aimes fixer le feu dans la cheminée et rougir lentement grâce à lui, tu aimes le vin blanc doux avec son épaisseur plein la bouche, tu aimes voir arriver sur le chemin le gros facteur congestionné sur son vélo qui zigzague, tu aimes l’odeur de corne brûlée qui vient de chez le maréchal-ferrant, tu aimes le Tantum ergo qu’on chante aux vêpres avec son goût d’automne, tu aimes voir le soc de la charrue déchausser les pieds de vigne et les rechausser, tu aimes le tango parce qu’il tape à coups de talon mais dans quoi, tu aimes quand le joug de la paire de bœufs fait craquer le cuir contre le bois, tu aimes écouter le moteur du car quand il s’étouffe en remontant la côte, avec la pince à épiler tu aimes glisser les timbres de ta collection entre les feuilles de l’album, tu aimes entendre le chant du coq lorsqu’il fend l’ennui par le milieu, le samedi soir tu aimes arriver au bal en entendant la musique de loin, tu aimes quand l’odeur du foin respirée à fond donne le vertige. »


    Ludovic Janvier
    La confession d’un bâtard du siècle
    Fayard, 2012

    http://www.dailymotion.com/video/xpgvet_ludovic-janvier-la-confession-d-un-batard-du-siecle_news

  • John Ashbery, « Le serment du Jeu de Paume »

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    « Le ticket

     

    L’expérience de t’écrire ces lettres d’amour…

    Clôtures inconcluantes, rien, pas même, de l’eau dans tes yeux, l’air de tout et de rien

    Le jardin dans la brume, peut-être, mais l’égocentrisme compense tout ça, les caroubiers en hiver, blanchis

    Sa main ne menant nulle part. La tête dans le jardin, des érables, une souche vue à travers un voile de bouteilles, ruptures –

    Tu n’avais nulle permission d’entreprendre quoi que ce soit, t’efforçant d’exécuter les ordres déments que l’on t’avait donné de raser

    La boîte, rouge, drôle d’aller sous terre

    Et, méfiant sans raison, boue du jour, le plaid – j’étais à tes côtés là où tu veux être

    Là-bas dans la petite maison occupé à t’écrire.

     

    Bien qu’ensuite les larmes aient l’air de putois

    Et position difficile que la nôtre d’illuminer le monde

    D’effroi, enrageant de bouillie, encore la souche

    Et comme toujours par le passé

    Le regard scientifique, parfum, millions, rire géant

    C’était là une échelle mais pas celle de vérités incertaines et innocentes, la branche effleurant –

    Jusqu’à un fossé de vin et cuves, éclaboussant le poster de sang, télégraphe, tout le temps

    Absorbant automatiquement les choses, celles qui n’avaient pas été gâtées, sordides. »

     

    John Ashbery

    Le serment du Jeu de Paume

    Traduit par Olivier Brossard

    Coll. Série américaine, Éditions Corti, 2015

  • Anise Koltz, « Somnambule du jour »

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    « Marcher à travers les siècles

    à travers le temps

    des vivants et des morts

     

    Sur une route

    où nous partirons demain

    pour arriver hier

    * * *

    Dieu

    je T’appelle

    comme si Tu existais

     

    Descends de Ta croix

    il nous faut des bûches

    pour nous chauffer

    * * *

    Marcher

    sans rien atteindre

    jusqu’à devenir chemin

    * * *

    La mer s’est retirée de nous

    les lignes de nos mains

    sont ses dernières empreintes

    * * *

    Oui j’écris

    nuit et jour

    lorsque vous m’enterrerez

    je n’arrêterai pas

     

    Dans cette terre

    aux entrailles enténébrées

    je continuerai l’écriture

    avec les bouts de mes os »

     

    Anise Koltz

    Somnambule du jour – poèmes choisis

    Poésie/Gallimard, 2015

     

    Les poèmes ici donnés ont paru originellement dans les volumes :

    Souffles sculptés, Guy Binsfield, 1988 ; Chants de refus I & II, phi, 1993 & 1995 ; Le paradis brûle, La Différence, 1998 ; Le cri de l’épervier, phi/Écrits des forges, 2000

  • Emmanuelle Pagano, « Ligne & Fils »

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    « La pierre millénaire, elle, était déjà là, elle était là avant l’homme, partout dans l’eau il y avait la pierre, brutale et accidentelle, elle accrochait son cours, elle cerclait ses échappées. L’homme conquérant des vallées était venu en renfort du paysage modeler ses écoulements, comme il étageait déjà les flancs des collines en terrasses, comme il meublait, plus bas, ses plats. La pierre domestiquée, appareillée, formait barrages et bassins, les énormes galets émergeant des rivières, ceux qui faisaient le dos rond au milieu des traversées, ceux qui dominaient en blocs vertigineux, étaient renforcés, parfois maçonnés, élagués au burin s’il le fallait, pour drainer le courant. L’eau déviée dans les béalières donnait du tour, toujours lourde quelle que soit la pente. Elle se déversait ensuite à nouveau dans la rivière, puis dans la rivière principale, dont la Ligne est l’affluent, puis dans le fleuve, par où la soie torse était transportée, remontée, jusqu’à la ville, jusqu’aux grands métiers qui la feraient devenir de beaux atours, des habits pour les autres. L’eau-force, passée au travers des massifs granitiques et volcaniques, restait douce, et son acidité, dépourvue de calcaire, autorisait le trempage des soies avant l’ouvraison, et délivrait toute son énergie sans rien poser d’autre sur les roues que son propre mouvement. Aucun dépôt qui aurait pu ruiner le bois, puis le métal.

     

    Je n’ai jamais bien compris ces histoires de chutes, de gravité, de violence, de force et de raison, de bruits et de silences, je n’ai jamais bien compris, exactement, ce qui faisait tourner les bobines. L’eau de la rivière était irritable comme le ciel. À l’automne, on n’entendait plus que l’orage de la Ligne, enflée par les nuages dégorgeant leurs remous en elle. La neige de l’amont l’engrossait et l’assourdissait, à nouveau, au printemps. En été l’eau manquait tant qu’elle semblait noyer et multiplier les bruits plus encore, comme un trou de silence assoiffé amplifiant et transformant en écho désorienté la moindre rumeur. Les béalières endiguaient, elles faisaient leur travail d’égaliser l’eau si vive, et parfois quasi morte, et dès lors il s’agissait d’égaliser aussi les bruits, comme si ces canaux étaient les ancêtres encombrants et bucoliques des tables de mixage dont mon fils me rebat les oreilles, car il est musicien. Il est musicien, mais il ne parle jamais de musique, il parle de sons. »

     

    Emmanuelle Pagano

    Ligne & Fils

    P.O.L, 2015

  • Pour Claude Rouquet

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    Claude Rouquet, L'Escampette, 8, rue Porte-Basse à Bordeaux, 1996 © cc

     

    pour Claude

     


    À la pointe du jardin, vers l’Ouest, vers l’au revoir, la rivière. La glaise des berges colle parfois si fort qu’on peut entendre le terrible bruit de succion lorsqu’un pêcheur s’y hasarde. C’est le passage de la plus élémentaire nature dans nos oreilles éteintes. Comment pourrions-nous encore croire qu’autre chose qu’une eau qui court puisse redonner un peu de force à celui qui glisse vers l’inéluctable. Nous ne saurions te le dire. Mais nous recueillons cette eau vive dans des flacons précieux & les versons le soir dans le verre de la nuit. Un peu de force reviendra. Soir après soir, matin après matin.

     

     

    Plus près de la maison le tilleul où à l’ombre chanta l’amie du pays aux mille parfums. La circonférence du tambour témoignait du temps, nous aurions pu calculer le nombre de lettres nécessaires à une correspondance amoureuse ce jour là. Demain, lorsque nous comprendrons, le poète lira dans sa langue les mots de la disparition. Un verre de quinquina, une pincée de poudre d’escampette, voilà qui suffit à nourrir son homme si on y adjoint un livre de derrière les fagots. Le soleil disparaît dans le feuillage, il fait frais, l’air est rarement aussi pur, posons un plaid sur tes genoux fatigués.

     

     

    Un poème discrètement intercepte un désir. On le trouve par avance dans l’œuvre d’un frère portugais qui rêvait le soir sur les hauteurs de Lisbonne avec un poète espagnol. Mémoire de l’être d’avant le temps, sans amertume, sans mur pour se protéger des vents violents de l’enfance qui s’en retourne toujours, qui remonte à sa source. Serré contre les visages aimés il n’y a pas de défaite, seulement de la tendresse, qui est parfois synonyme de désespoir. Le travail d’amitié ne saurait avoir de fin, le compagnon de voyage est un aimant dont même la mort ne saurait nous séparer.

     

     

    Un parfum d’abîme, tout le monde veut l’oublier. Une âme cherche à s’envoler vers un nonciel doux. D’autres rivières baignent les pieds des poètes aimés, d’autres arbres ombragent leurs poèmes, vers le sud. Il est simple d’écouter de la poésie, comme manger & dormir. C’est une lettre au silence qui est tracée chaque jour avec les mots des autres, passionnément. C’est une lettre qui ne s’apitoie pas, qui donne simplement en partage ce qui lui semble essentiel. Énigmatique certitude car ce travail du noir devient celui du blanc dont toute une vie est l’unique sang, l’unique descendant.

     

    Même l’amour ne peut empêcher l’arrêt du cœur. Chaque ami envoie un souffle de la main. Cela ne suffit pas. Continuer à chercher la lumière est la seule façon de poursuivre, du plus profond de la douleur. C’est un chant contre la mort. Ça ne guérit pas, ça touche les bords de l’âme pour continuer à vivre. La main qui tremble, il faut la réchauffer pour la calmer & le corps s’apaise. La tendresse joue de bons tours, nous somme encore des enfants & c’est irremplaçable cette gaieté soudain dans l’œil, ces mots de garnements & la voix des poètes qui portent chaque instant vers le prochain.

     

    Le ciel se divise selon les saisons, la lumière tourne, elle se suspend à nos têtes parfois, c’est une semence pour l’espérance. Le vent se lève, le tilleul chante, le plancher grince sous les pas de l’aimée, une journée de pleine vie encore. Enlever, disperser la douleur est le travail quotidien. De la voix de l’un s’élève l’autre, c’est la grande affaire d’une vie, c’est tracer son cœur sur des feuilles si légères que le vent les emporte & les distribue à ceux qu’elles réveilleront. Un jour j’ai entendu une phrase devenir un poème, ce n’est pas un souvenir c’est de la vie active, c’est un casse-croûte pour l’avenir.

     

    Chaque mois il faut tenir jusqu’au prochain mois, puis chaque jour il faut tenir jusqu’au prochain jour. Légers papillons, transparente peinture à la cire, plaque de thé comme une offrande, le couloir attire le jour & les essences rares. Rien ne bouge, sinon la mélancolie par avance. Gais compagnons, comment se défaire de soi-même ? Petite lampe dans la nuit, quelqu’un veille, attentif au moindre suspens du souffle. Le cœur passe avant tout, le jour va bientôt venir, le temps est si long, la vie est si courte, la tendresse dort auprès de moi, dis-tu. Mémoire du jardin des délices.

     

    Une balançoire, une douceur d’enfant entre deux mêlées, entre deux crochets du corps souple. Sur les étagère les livres de Prix & les poches d’antan. Ce début de bibliothèque est le miracle d’une vie têtue. Je parle de la langue que tu as trouvée, que tu as partagée & dans le jardin, brisant le silence clandestin, le rossignol gringotte une façon de fado, cela apaise la douleur de partir. J’étais en train de te parler de visages aimés & de baisers partagés & j’ai songé que l’hiver venait toujours trop tôt, pour un être né le neuvième jour du huitième mois d’une rare année de treize lunes.

     

    La demeure est maintenant dans le cœur des amis & près d’un ruisseau auvergnat où filent les fario à deux pas d’un buisson de mûres.

     

    Claude Chambard

    13 janvier 2015 – 13 janvier 2016

  • Lu Yu, « Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise »

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    « Me lamentant de manquer de vin (74 ans)

     

    nul besoin d’endiguer le Fleuve Jaune,

    nul besoin de déterrer les tripodes de la dynastie Chou

    je souhaite seulement qu’à la maison le vin coule à ot,

    jour et nuit ivre à ne pas m’en réveiller

    nul besoin d’une coiffe grande comme une corbeille à vanner les céréales,

    je souhaite seulement que mon corps soit robuste et en bonne santé,

    et du matin au soir boire sans cesse du vin

    la Création peu clémente,

    chaque jour me met à l’épreuve,

    faisant en sorte que, dans ma coupe en bronze,

    des mois durant la poussière s’accumule

    en cette vie, lorsque j’ai du vin pour la désinvolture je deviens sans rival

    cent rouleaux manuscrits se remplissent comme si le vent et la pluie faisaient rage

    la Création voudrait-elle m’embarrasser avec la sobriété,

    la folie du vieil homme lorsqu’il est sobre, vous ne la connaissez pas encore »

     

    Lu Yu

    Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise

    Poèmes choisis et traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 1995, rééd. 2012

  • Sylvie Fabre G., « Dans la lenteur »

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    « J’ai toujours prononcé un nom que je ne connaissais pas. Je l’ai cherché dès l’enfance dans les livres et les images. Je l’ai senti quelques fois au gré de la lumière ou du vent. Il se dessinait sur mes lèvres, il arrivait sur ma langue comme une herbe de printemps. J’ai pensé le recueillir comme se recueille le temps, malgré son indéchiffrable.

    *

    Nulle enfance ne peut être muette, et le cri que tu portes en toi se reflète dans tes yeux. Ou ne fait-il que retentir en moi ?

    Je l’entends, je le lis dans tes mots. Il ne trouve pas refuge. Jamais. Son intensité est dans la solitude. Dans le miroir son silence. Il m’apprend le plus délaissé, le fragile et tout l’inassouvi.

     

    Le poème est son accomplissement. Et je l’écris pour vaincre l’oppression. Si douloureux tu sais l’inexprimé, jamais tari. Jamais. »

     

    Sylvie Fabre G.

    Dans la lenteur

    Unes, 1998

  • Ariane Epars, « Carnet(s) du lac »

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    « Samedi 8 juin, 9 heures 30

     

    Lac cireux, presque lisse. Calme. Léger mouvement vers la gauche.

    Atmosphère floue, bleu pâle, qui se voile. Les traces des avions restent collées au ciel, croissent en forme de cellules. Derrière le mur de la Promenade un banc de poissons mord la surface de l’eau à-coups de petites bulles.

    Une brise agite individuellement les feuilles désormais vertes de l’arbre 2. Un cygne parcourt la scène de droite à gauche, à lents coups de pattes. Au large, très loin, deux canoës brillants, se dirigent vers la droite.

    Concert ininterrompu de piaillements de moineaux.

    Derrière le ronronnement des pompes à traiter, la circulation.

    Les bruits aussi, sont flous.

    La lumière est blanche.

    Le lac semble s’évaporer dans cette intensité lumineuse.

    Martinets et hirondelles sillonnent le ciel au loin, un merle siffle de courtes phrases.

    Un courant, soudain, plisse la peau du lac.

    Le soleil clignote dans le feuillage de l’arbre 2. Un petit avion survole la maison, des éclats de soleil s’allument s’éteignent s’allument sur le bleu tendu entre les arbres 1 et 2. »

     

    Ariane Epars

    Carnet(s) du lac

    Héros-Limite, 2015

     

    pour mieux connaître le remarquable travail d'Ariane Epars : http://www.arianepars.ch/

  • Hannah Arendt, « Heureux celui qui n’a pas de patrie »

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    « Une fille et un garçon

    au bord du ruisseau et dans la forêt,

    d’abord ils sont jeunes ensemble,

    puis ensemble ils sont vieux.

     

    Dehors les années s’étendent

    Et ce qu’on nomme la vie,

    L’être-ensemble habite dedans

    Qui ne connaît ni la vie ni les ans.

     

    Hannah Arendt

    Heureux celui n’a pas de patrie. Poèmes de pensée

    Traduit de l’allemand par François Mathieu

    Edition établie, annotée et présentée par Karin Biro

    Payot, 2015