Nelly Sachs, « Lettres en provenance de la nuit »
« Le 16.4.51. Ne pas presser la fin. Mais une fois que la nostalgie a allumé la lumière par les deux bouts – quoi alors ?
Toujours vécu au comble de la ferveur. Étant enfant pendant les nuits avec les terribles soleils dorés. Crucifiés de noir. Les parents, les bien-aimés cherchés toute la nuit dans l’angoisse. Des promenades au zoo dans le soleil du soir. Lumière de supplice. Tout à coup un pré reconnu. Sorti d’où ? Une chanson, un parfum. Toujours été sujette au plus lointain. L’angoisse à l’école, de donner à voir mon étrangeté. Toujours retranchée. La chérie chantait… y passent les cygnes… à force de chant elle faisait si doucement monter l’eau sombre du repos du sommeil enfantin – toi ma mère !
Mon père apportait des poires dans ma fièvre – mon père et la musique – un menuet de Rameau. Danse – danse les yeux fermés, beaucoup de larmes étaient à l’intérieur et les yeux de désert d’Israël – ce terrible amour à un cheveu de la mort – beaucoup de maladie – la guerre – mon père ta souffrance et tous les secrets de tes derniers jours – des forces qui devaient venir à moi – ta bénédiction – puis le temps de l’horreur – silence – sauvée ici en Suède avec la plus chère et souvent comme morte avec elle. Toujours vécu à l’extrême limite – entrainée à mourir. Aimer c’est s’entraîner à mourir. »
Nelly Sachs
Lettres en provenance de la nuit – 1950-1953
Traduit de l’allemand par Bernard Pautrat
Allia, 2010
Merci à Marie Van Moere