Alexis Pelletier , « Aujourd’hui »
Les Inédits du Malentendu, volume 5.
Carmelo Zagari, Les forains, gravure à l’eau forte sur cuivre, 2017
il y a une voix qui continue dehors
qui voyage quand personne ne le peut
qui répète heureuse
je ne suis pas celle que vous croyez
je n’ai pas d’autre intention que
d’être la voix qui continue
et c’est parce que je sais qu’on m’entend
que je trouve la force d’être là
sans majuscule
sans commencement ni fin
et quand on croit qu’elle s’arrête
c’est qu’elle reprend un souffle
en écoutant ce qui à l’intérieur
d’elle doit se réduire encore
pour être au plus vif du timbre
au plus simple des inflexions
pour au moment où elle reprend
alors même que personne n’a
entendu son arrêt
mieux saisir l’espace
avec elle
ce qui se présente
est peut-être un murmure
peut-être une affirmation
quelque chose qui tient et
se retient
un espoir
le mot serait trop fort
une nécessité
pas assez décalé
une entrevue plutôt
celle qui consiste à remonter
à prendre l’époque à contre-courant
un murmure à contretemps
jamais la voix ne demande où
elle est
jamais elle ne considère
les jours comme des
tranchoirs et jamais les jours
ne nous mangent le front
comme un linceul
jamais l’on n’est incrédule
pour suivre dans la voix
un oiseau qui vole entre les
murs jamais dans la voix
l’oiseau n’est obscène
jamais la voix sans doute
native ne se dissout-elle
parce que jamais elle n’a à persister
parce que toujours elle est
là jamais
il n’y a d’écart ni de
centre avec elle
jamais elle ne se désigne
autrement que par elle-même
puisqu’elle n’est ni souffle ni
note tenue qui porterait
jamais elle ne se fait à la
complaisance des
images
à leur hystérie
la voix est sans
doute une
contre-voix
quelque chose qui
vient d’en-dessous
et laisse avec
cette impression de
vague qui ferait dire
que c’est un murmure
alors qu’il n’en est rien
c’est détimbré mais
contre l’époque ou plutôt
à rebours
du discours moral
des propos de ceux et celles qui
ne savent pas dire qu’ils ne savent
rien
et qui n’ont jamais vu que la langue
est minée et que
les mots de
la tribu sont déjà ceux
d’un asservissement de
l’autre
la voix et sa désappartenance
elle n’accepte rien de
tous les mots qui lui viennent
et parce qu’ils causent et détruisent
elle continue sans eux
sans moi
toujours en puissance même
dans son retrait toujours ferme
même quand muette
englobant tout
le malaxant le formulant
dans une pâte qui invalide
chaque certitude et laisse
pantois et en plein suspens
pas une pâte
pas une matière
quelque chose de l’infra-sonore
qui saisit le corps et destitue
la certitude au moment où
elle s’acquiert
sans moi sans toi
peut-être pour éviter la question
pourquoi continuer
le fait de tout abandonner
ça n’est pas l’essentiel
rien n’existe
quoi
encore un vers
Alexis Pelletier
Aujourd’hui
Inédit – extrait