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colette

  • Colette, « La Vagabonde »

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    Harlingue/Roger Viollet

     

    « Sous ma fenêtre, dans le jardin, un parterre oblong de violettes, que le soleil n’avait pas encore touchées, bleuissait dans la rosée, sous des mimosas d’un jaune de poussin. Il y avait aussi, contre le mur, des roses grimpantes qu’à leur couleur je devinais sans parfum, un peu soufrées, un peu vertes, de la même nuance indécise que le ciel pas encore bleu. Les mêmes roses, les mêmes violettes que l’an passé… Mais pourquoi n’ai-je pu hier, les saluer de ce sourire involontaire, reflet d’une inoffensive félicité mi-physique, ou s’exhale le silencieux bonheur des solitaires ?

    Je souffre. Je ne puis m’attacher à ce que je vois. Je me suspends, encore un instant, encore un instant, à la plus grande folie, à l’irrémédiable malheur du reste de mon existence. Accrochée et penchante comme l’arbre qui a grandi au-dessus du gouffre, et que son épanouissement incline vers sa perte, je résiste encore, et qui peut dire si je réussirai ?…

    Un petite image lorsque je m’apaise, lorsque je m’abandonne à mon court avenir, confiée toute à celui qui m’attend là-bas, une petite image photographique me rejette à mon tourment, à la sagesse. C’est un instantané, où Max joue au tennis avec une jeune fille. Cela ne veut rien dire : la jeune fille est une passante, une voisine venue pour goûter aux Salles-Neuves, il n’a pas pensé à elle en m’envoyant sa photographie. Mais, moi, je pense à elle, et j’y pensais déjà avant de l’avoir vue ! Je ne sais pas son nom, je vois à peine son visage, renversé sous le soleil noir, avec une grimace joyeuse où brille une ligne blanche de dents. Ah ! si je tenais mon amant, là, à mes pieds, entre mes mains, je lui dirais…

    Non, je ne lui dirais rien. Mais écrire, c’est si facile ! Écrire, écrire, lancer à travers des pages blanches l’écriture rapide, inégale, qu’il compare à mon visage mobile, surmené par l’excès d’expression. Écrire sincèrement, presque sincèrement ! J’en espère un soulagement, cette sorte de silence intérieur qui suit un cri, un aveu… »

     

    Colette

    La vagabonde, 1910

    Biblio, Le livre de poche, 2021

     

    Puisque Colette est morte un 3 août, celui de 1954.