Yannis Ritsos, « Trois poèmes »
DR
« Résurrection
Il regarde à nouveau, il observe, il distingue
à une distance qui ne signifie rien,
dans une durée qui n’humilie plus,
les boules de naphtaline dans le sac en papier,
les feuilles de vignes sèches dans le seau percé,
la bicyclette sur le trottoir d’en face.
Brusquement,
il entend le coup derrière le mur,
ce même coup convenu, unique,
le coup le plus profond. Il se sent innocent
d’avoir oublié les morts
À présent, la nuit,
il n’utilise plus de boules Quies – il les a laissées
dans son tiroir avec ses décorations
et son dernier masque – le masque le plus raté.
Mais saurait-il dire s’il s’agit du dernier ?
Difficile aveu
Les clous et les planches, c’est moi qui les ai pris. Ne me dénonce pas.
J’aurais pu ne rien te dire. Je ne pouvais pas. À l’heure où les autres
tout nus dans le soleil frappaient leurs marteaux, il grimpa, lui,
très chic et cravaté. Il déplia le vaste plan de l’ouvrage
et désigna du doigt. Il me glaça. Les marteaux s’étaient arrêtés.
À présent, je sais quelle différence il y a entre le papier et le fer. Le monde
est coupé en deux. Que tu l’avoues ou non, – cela ne le réunira pas pour autant.
Son dernier métier
Voici, dit-il, mon dernier métier – un foulard
de paysan, très grand, à carreaux bleus et blancs ;
je le plie, je le déplie, j’essuie ma sueur
et parfois mes yeux. J’y ramasse tous mes biens,
quelques livres, un fauteuil, mes cigarettes, mon briquet,
mon miroir à raser grossissant, et l’autre,
ce miroir rapetissant qui me sert à voir des choses désagréables
ou celles qu’on dit chimériques.
Dans ce foulard,
juste au milieu, il y a un trou. C’est par là
qu’entre l’oiseau au cours des nuits les plus obscures,
mon oiseau secret qui saute sur mon épaule ou mon genou
pour me nourrir d’un épi, d’une étoile ou d’un ver. »
Yannis Ritsos
Hélène suivi de Conciergerie
Traduit du grec par Gérard Pierrat
Gallimard, Du monde entier, 1975