Giuseppe Ungaretti, « Trois poèmes de “Dialogue” »
DR
« Don
Dors à présent, cœur inquiet,
Dors à présent, va, dors.
Dors, l’hiver
T’a envahi, menace,
Crie : “Je te tuerai,
Tu n’auras plus sommeil.”
Ma bouche, dis-tu, donne
Paix à ton cœur,
Dors, dors en paix,
Écoute, va, ton amoureuse
Pour triompher de la mort, cœur inquiet.
Tu as vu dans mes yeux
Tu prêtes à l’horrible solitude
Pouvoir de courir au Jardin,
Généreux amour.
Tu as vu dans mes yeux s’éteindre
L’amassement de tant de souvenirs
Chaque jour plus féroces,
Et un seul souvenir
Prendre forme soudain.
Ton âme l’a enfermé dans mon cœur
Et je suis né de nouveau.
À l’épouvante de la solitude
Tu offres le miracle de ces libres jours.
Guéris-moi de l’âge, donatrice enfant.
L’éclair de la bouche
Des milliers d’hommes avant moi,
Même plus que moi chargés d’âge,
Mortellement furent blessés
Par l’éclair d’une bouche.
Ce n’est pas une raison
Qui apaise la douleur.
Mais qu’avec compassion tu me regardes
Et parles, un chant commence,
J’oublie que la blessure brûle. »
1966-1968, Traduction : Philippe Jaccottet
Giuseppe Ungaretti
Vie d’un homme – Poésie 1914-1970
Traduit de l’italien par Philippe Jaccottet, Pierre Jean Jouve, Jean Lescure, André Pieyre de Mandiargues, Francis Ponge et Armand Robin
Préface de Philippe Jaccotet,
Éditions de Minuit/Gallimard, 1973