UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

enfance

  • Georg Trakl, « Enfance » — deux traductions

    otto-pankok-portrait-georg-trakl.jpg

    Georg Trakl par Otto Pankok, vers 1925

     

    « Parsemée de fruits de sureau ; l’enfance calme s’écoulait

    Dans une caverne bleue. Sur un chemin disparu,

    Où frisonne maintenant la mauvaise herbe roussie,

    Les tranquilles ramées rêvent ; murmure du feuillage,

     

    Pareil à l’eau bleue clapotant sur les roches.

    Douceur de l’appel du merle. Un pâtre suit,

    Sans mot dire, le soleil qui roule de la colline automnale.

     

    Un instant bleu, tout n’est qu’âme.

    À l’orée du bois se montre un animal craintif, et dans le vallon

    Reposent en paix les vieilles cloches et les villages ténébreux.

     

    Avec ferveur, tu découvres le sens des sombres années,

    Le froid, l’automne dans les chambres solitaires ;

    Et dans l’azur sacré s’estompe un bruit de pas lumineux.

     

    Une fenêtre ouverte grince doucement ; la vision

    Du cimetière délabré vers la colline émeut jusqu’aux larmes,

    Souvenir de légendes narrées ; pourtant l’âme parfois s’illumine

    En songeant à des hommes heureux, à l’or sombre des jours de printemps.

     

    Traduction Henri Stierlin

    Rêve et folie & autres poèmes

    suivi d’un choix de lettres traduites par Monique Silberstein & de Crépuscule et anéantissement par Jil Silberstein

    GLM, 1956, réédition augmentée : Héros Limite, 2009

     

    « Lourd de fruits, le sureau ; calme habitait l’enfance

    Dans la caverne bleue. Sur le sentier évanoui,

    Où siffle à présent, brunâtre, l’herbe folle,

    Méditent les branches silencieuses ; le murmure du feuillage

     

    Pareillement, quand l’eau bleue résonne sur le rocher.

    Douce est la plainte du merle. Un pâtre

    Suit sans voix le soleil qui dévale la colline d’automne.

     

     

    Un instant bleu n’est plus qu’âme.

    À l’orée de la forêt se montre un gibier craintif, et paisibles

    Reposent dans le vallon les cloches vieilles, les hameaux assombris.

     

    Rendu pieux, tu connais le sens des années sombres,

    Froideur et automne dans les chambres solitaires ;

    Et dans le bleu sacré dure le son de pas lumineux.

     

    Doucement tinte ouverte une fenêtre ; aux larmes

    Émeut l’aspect du cimetière en ruine sur la colline,

    Ressouvenir de légendes contées ; mais l’âme parfois s’éclaire

    Quand elle pense les êtres gais, les jours d’or sombre du printemps.

     

     

    Traduction par Marc Petit & Jean-Claude Schneider

    Œuvres complètes

    Gallimard, 1972

  • Antoine Wauters, un sprint heureux

    IMG_0306.jpg

    Antoine Wauters à la Machine à Lire, le 20 septembre 2023

    par Hélène des Ligneris, avec son amicale autorisation

    `

    à propos de Le plus court chemin, Antoine Wauters,

    14x21 cm, 256 p., éditions Verdier, 19,50 €

     

    Depuis la lecture de Césarine de nuit chez Cheyne éditeur, en 2012, je n’ai pas laissé passer un seul livre d’Antoine Wauters.

    C’est dire si d’année en année je lis avec la meilleure attention ses livres, suis son travail d’aussi près que possible. Ainsi lors de l’ouverture de ce Le plus court chemin le jour de son arrivée, le 27 mai, j’ai été frappé par la disposition, brèves pages comme dans Césarine de nuit & Sylvia, et puis très vite en le lisant j’ai songé aussi, sous une autre forme à Pense aux pierres sous tes pas (Verdier, 2018) surtout dans sa première partie. Oui, pensons aux pierres sous nos pas pour emprunter ce plus court chemin, épatant cheminement à travers l’enfance, l’enfance de l’écriture, les souvenirs et ce que l’on en fait, cette tentative de restitution d’un monde pour ainsi dire disparu, inconnu certainement en grandes parties aux plus jeunes de ses lecteurs, et qui, paradoxalement malgré les nombreuses années qui nous séparent n’est pas bien loin du mien, ce qui me laisse à penser que les changements s’accélèrent sans cesse et dangereusement.

    Pensons aux pierres sous nos pas, elles sont suffisamment solides et neuves encore d’être si anciennes pour nous permettre de nous glisser un peu dans ses pas, dans ceux de cette narration fine, sobrement efficace, et pourtant toute entachée de ce lyrisme très spécifique à l’écriture d’Antoine Wauters et ce depuis le début — on ne devient pas l’écrivain tant aimé sans faire un peu vibrer, rêver, pleurer et toutes ces sortes de choses — lyrisme, ce n’est pas un gros mot, n’est-ce pas —, car attraper les souvenirs c’est en quelque sorte attraper le temps, mais quel serait dès lors le temps le plus heureux, et le temps d’hier serait-il possiblement plus heureux que celui du jour, lequel serait le plus présent, ce temps qui de quelque façon qu’il le conjugue aurait permis donc le livre le plus heureux qu’il a écrit.

    Ce serait donc un livre d’apprentissage, de préapprentissage pour ainsi dire, un livre écrit sans rien savoir des trucs, des ficelles, qu’on apprend au fur et à mesure que l’on avance dans les livres et dont il aurait au moins tenter de te débarrasser — on tente le coup à chaque fois et il faut reprendre sans cesse, une vue de l’esprit. Je ne perds pas de vue que le premier livre d’Antoine s’intitule Debout sur la langue (maelstrÖm reEvolution, 2008) et qu’il a obtenu le Prix Goncourt de la nouvelle pour Le Musée des contradictions (éditions du Sous-Sol, 2022), je ne l’oublie d’autant moins que ces deux titres forment tout un programme.

    Ce serait aussi une douce nostalgie, un appel à ceux qui ont fondés nos vies ­— les vivants et les morts : Papa, Maman, Papou & Nènène, Pépé & Mémé, Charles, Lorraine. Et ils répondent présents à tous les temps de la vie, encourageants, vifs, écrivant des lettres magnifiques, donnant l’allant qu’il faut au petit gars, dans ces temps où l’argent n’est pas tout, où l’on porte les vêtements jusqu’au bout et où on fait ressemeler les chaussures, ce temps n’est pourtant pas si lointain — Antoine Wauters est né en 1981 —, et ce temps il le rend élastique, allant d’hier aujourd’hui avec le naturel d’un qui dit « j’écris sans réfléchir », tout en sachant  « se traverser de part en part en acceptant tout ce que l’on croisera, tout ce que l’on touchera du doigt et que l’on entendra. Même ce qu’il y a de plus terrible. Car cela, il faudra parvenir à l’aimer. »

    Ce serait donc ce livre-là, livre de sons, d’odeurs, de choses vues, ces sensations  instinctives sans apprentissage, pas vraiment besoin de décoder, la joie, la peur, le rire, les pleurs, le cœur qui bat parce qu’on sprinte tout le temps ­— c’est fou ce qu’un gamin peut courir, n’est-ce pas —, et que l’écrivain – « je n’écris pas ce livre je le sprinte » – qui retrouve des bribes de tout cela marche maintenant quand il n’écrit pas… et peut-être même s’affuble-t-il d’autre nom pendant le travail de l’écriture, chaque jour après la lecture sans laquelle rien ne serait possible. Ces noms qui pourraient être du genre : Anton Libermans, Evgueni Sakomatov, que sais-je.

    Alors on ouvre les yeux et il nous apparaît bien qu’il fait comme ça parce qu’il n’est pas un « poing serré », non, bel et bien un poète quoi qu’il écrive, un poète avec un complexe campagnard mais le poète sait le manque, après la fracture, après la faille, c’est maintenant que vient l’écriture, qui saurait nommer ce qui est peut-être innommable mais que l’on perçoit de l’autre chemin, l’opposé, peut-être pas le plus court, donc, et que l’on a toujours peur de ne pas vivre assez.

     

    Claude Chambard

  • Un présent,

    P1020825.jpeg

    © : cchambard

     

    pour mon merveilleux filleul Valère,

    ce 12 décembre 2020

     

    Un présent, enveloppé dans un papier d’hier, que l’on utilisera demain, un présent, c’est l’enfance qui revient, c’est un jour sans brouillard, une soupe sans caillou, de la neige à Noël — Pâques aux tisons, Noël au balcon —, c’est dormir tout habillé & se réveiller frais comme un nouveau baptisé, s’endormir comme un saint & se réveiller comme un diable, un présent c’est une promenade au bord du canal, sa petite main dans une bien large & rassurante, croiser péniches & boulonnais sans changer d’époque, cueillir des fruits mûrs sur des arbres généreux de toute éternité, c’est le texte bienvenu avant même d’avoir été écrit

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours