Bohumil Hrabal, « Poldi la belle »
DR
[…]
« En cette aube sagace
où les vieillards se raclent à fond la gorge
et où les vieilles soufflent sur leurs paumes
pour s’assurer à l’odeur qu’elles sont encore,
en cette aube suave de printemps
où les premiers lilas crachent le sang,
en cette aube d’œufs
où les lampes à gaz battent les blancs en lumière,
en cette aube j’irai avec les amis m’enterrer.
D’abord j’achèterai un petit cercueil blanc
avec du papier crépon blanc
où, sur un tout petit édredon blanc de papier crépon,
sera posé mon blanc sourire vu de l’autre côté,
grimace ensevelie de copeaux de fleurs
et je me porterai moi-même dans mes bras
et les amis me suivront en cortège
avec les lunes argentées des pelles,
et nous irons là-haut, au dessus de Poldi la belle*
et, avec une pioche de nickel, nous entrouvrirons la serrure de la terre
et, le long d’une sangle violette, descendront
mon raboteux baiser à l’éternité,
ma peur vive
qui est tout ce que j’ai, en quoi j’espère,
ce que je signifie, en quoi je crois,
parce que si je n’avais pas peur,
dès maintenant j’enfilerais mes plus beaux vêtements,
préparerais un banquet sur toutes les tables,
entourerais ma petite tête de linges
et souriant
me ferais éclater la cervelle.
Seulement j’ai peur,
voilà le hic, j’ai peur,
parce que j’aime
la vie. »
[…]
* L’enseigne des aciéries Poldi de la ville de Kladno est constituée d’un ovale au sein duquel se trouve le profil d’une tête de femme, surmonté d’une étoile à cinq bras symbolisant l’exportation dans les cinq continents. La femme en question serait Leopoldina, épouse de Carl Wittgenstein, un des fondateurs des aciéries, en 1889 : les aciéries Poldi Hütte furent nommées Poldi en son honneur. (ndt)
Bohumil Hrabal
La grande vie – Poèmes 1949-1952
Traduit du tchèque par Jean-Gaspard Pálenícek
Fissile, 2017