Agnolo di Cosimo dit Bronzino, Noli me tangere, 1561, Paris, Musée du Louvre
Ce n’est pas si courant qu’un livre de poèmes me transporte à ce point. Celui-ci est une vraie surprise. Acheté il y a 48 heures dans une bonne librairie après quelques pages sur place, il m’a bouleversé par ce qu’il donne à lire et à penser, mais aussi par ce qu'il rompt avec bien des façons actuelles. Ce n’est pas si courant aujourd’hui que la chair et l’esprit soient abordés avec générosité, réelle envie de partage, quête de soi-même dans l’amour de l’autre, qu’il soit humain ou d’essence divine – le jardinier on l’aura compris est le Christ ressuscité que Marie-Madeleine rencontre près du tombeau, comme le rapportent Jean & Marc. Reprenant, poursuivant, au fond, ce que quelques-uns de ces prédécesseurs ont mis en route – Thérèse d’Avila & Jean de la Croix, pour aller vite –, Ariel Spiegler – dont je ne connaissais rien –, bouleverse les habitudes et les sens en six parties, où le « je », le « tu » qui vont de l’un à l’autre — « petite », « Ariel », sont forcement plus définis —, sont les moteurs d’un dialogue intérieur et d’une passion qui porte à vaincre ce que le monde et le temps opacifient, abiment. Ce sont « L’appel d’un homme incompréhensible », « une mélodie, une espèce de couleur », « la meilleure part de toi », le désir, bien sûr, la recherche, l’erreur forcément, le questionnement permanent, qui constituent ce livre très sensuel et divin où, par exemple, « je me suis mélangée à son corps » et « j’ai chanté trop tôt la prière des humains et des anges » seraient des passages qui nous donneraient des nouvelles, de nous-même, perdus et déliés dans la passion et réunis dans l’écriture et la lecture. C’est dire si ce livre est nécessaire.
Claude Chambard, 30 janvier 2020
« Je t’adore
Qui es-tu ?
Avant que je parle, que je batte,
il y avait l’espace immense.
Tu as présidé à l’aurore.
Aucun oiseau n’est tombé sans toi.
Toute la nuit je t’ai voulu
mais que dure la nuit ?
Je t’adore.
J’ai fait d’un rien du tout
une histoire extravagante,
des nœuds marins
et les nuages allaient, sans pensée, au-dessus de moi.
Que je t’adore en marchant, en dormant,
que je t’adore par tous les visages.
Soulève-moi jusqu’à ta face,
effeuille-moi, amoindris-moi,
disperse-moi dans ta lumière.
Je t’adore.
Surgis, vivante, lève-toi
et cherche celui qui t’attend depuis
avant ta naissance
pour que tu deviennes
libre comme lui.
Ne cesse pas de chanter, de le vouloir,
chante. »
Ariel Spiegler
Jardinier
Gallimard, 2019