Juliette Mézenc, « Laissez-passer »
DR
« &
je m’applique à être
c’est pas donné à tout le monde
à certains oui, c’est donné, c’est ce qui paraît en tous cas
c’est naturel pour eux
Ils SONT.
ils sont ils sont et puis voilà
j’ai toujours trouvé ça injuste
parce que pour moi c’est pas la même : il faut sans cesse que je m’applique à la vie
je m’applique à la vie par toute une série d’exercices
et même comme ça, en m’appliquant très fort, je n’y arrive pas, pas toujours, et même : plus je m’applique plus elle me fuit, la vie, j’ai l’impression
mais comment faire
parce que parfois ça marche
des fois, je réussis à réduire l’espèce de no man’s land qui me sépare de la réalité, je franchis tout l’espace d’un bond d’un seul
des fois, je fais partie c’est une joie
mais c’est tout un travail pour moi
et je vois bien que c’est plus de boulot pour certains que pour d’autres
y en a ils sont et puis voilà
et puis y en a d’autres
un jour qui a duré des mois et des mois, et je me suis retrouvé coupé, complètement séparé de
…
j’ai retrouvé ça, cette sensation-là, dans un jeu vidéo hier, j’avançais dans la map et puis d’un coup : blanc ! rien que du blanc et moi perdu là au milieu sans plus aucun repère dans cette immensité blanche et lumineuse, sans aucune aspérité, le vide le plus pur
et rien qui te raccroche à rien
juste la voix du médecin qui avait prononcé des mots “perte des notions de l’espace et du temps”
il y avait donc un nom pour ça
nommer c’est déjà ça
une main courante
c’est juste après que j’ai commencé à écrire »
Juliette Mézenc
Laissez-passer
L’Attente, 2016