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montaigne

  • Pascal Quignard, « Tout en haut de la maison de l’Yonne… »

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    dans le jardin de la maison de l'Yonne, 6 août 2024 © CChambard

     

    « Tout en haut de la maison de l’Yonne il y a une pièce extrêmement petite et mansardée. Le lit y est étroit, il fait quatre-vingts centimètres de large. Il n’y a que quelques briques par terre qui constituent un dallage maladroit. Les murs sont nus. Les poutres elles aussi, je les ai laissées grasses de suie, d’odeur de feu, et nues. C’est tout. La “table de chevet” ce n’est que la brique qui dépasse du mur et j’y dépose ce qui reste de moi : une clé USB. Car c’est ce qui restera de moi. Je me dis : “Ma vie fut moins volumineuse qu’un crâne ! Même le bec d’une corneille l’eût contenue !” Les pétales d’une anémone eussent suffi à l’empaqueter. Ce qui est le plus joli, dans la minuscule soupente, est l’ampoule ronde qui pend et qui éclaire les pages — à laquelle se substitue dès les premiers mouvements de l’aube le velux qui surplombe la tête du lit et par lequel le soleil tombe à pic. Il arrive souvent que l’âme oublie d’éteindre alors que tout est inondé de lumière. Il faut y prendre garde mais on n’est pas très loin de l’autre monde alors.  On n’est jamais très loin ni de l’autre monde, ni de l’autre temps. Il m’est arrivé d’oublier de sentir à quel point j’étais heureux dans les bras de celle que j’aimais. Il m’est arrivé d’oublier l’intense fidélité corporelle qui fait le fond de l’amour et qui remonte à si loin. Qui fait l’extrême intimité. Qui fait son audace soudaine. Car toutes les audaces animales, orificielles, remontent du jardin sauvage du paradis. »

     

    Pascal Quignard

    « Montaigne », in Compléments à la théorie sexuelle et sur l’amour

    Collection Fiction & Cie. Seuil, 2024

  • Un matin, un ami…

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    Pascal Quignard & Aline Piboule, église saint-Michel-de-Montaigne, 29 août 2020 © cchambard

     

    pour Pascal,

    ce 23 avril 2021

     

    Un matin, un ami, vers un ami le chemin n’est jamais long puisqu’il est simplement un morceau vivant de soi-même, l’ami on le voit chaque jour, dans les livres & dans les rêves, dans les yeux & dans l’oreille on l’entend depuis l’origine, c’est un ami depuis la plus petite enfance quels que soient nos âges nous nous connaissons toujours déjà, quelles que soient nos langues, quels que soient nos lieux – le lieu de l’amitié est un kraal, dans ce kraal dort l’ami, dans ce kraal l’ami écrit, dans ce kraal, qui est un pays sans langage, la nuit n’est jamais obstinément noire, c’est le lieu de la vie vivante où partager la vie secrète qui a la couleur & le parfum des mûres

     

    Claude Chambard

    inédit, extrait de Un matin, en cours

  • Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 août 2020

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    La Tille, ma rivière, à Lux (Côte d'Or)

     

    Nous sommes ici, à deux pas du château d’un ami, Michel de Montaigne, dans cette église de Saint-Michel-de-Montaigne où son épouse, Françoise de la Chassaigne, fit enterrer, selon ses dires, le cœur de l’homme qu’elle aimait avant que son corps le fusse au couvent des Feuillants à Bordeaux. Je dis d’un ami car pour tout lecteur un peu constant de son œuvre – c’est le cas pour toutes les œuvres aimées, n’est-ce pas – Michel de Montaigne est un ami.

    Montaigne écrivait à la toute fin de ses Essais : « C’est une absolue perfection, et comme divine de savoir jouir loyalement de son être. » Et plus avant, dans le chapitre X du livre III, où il traite entre autres de sa charge de maire de Bordeaux, il parle de « l’amitié que l’on se doit », que l’on se doit à soi-même mais que je n’entends chez lui bien sûr qu’adjointe à l’amitié que l’on doit à l’autre.
    Cette amitié que l’on se doit et que l’on partage, je la trouve dans le travail, des deux auteurs que nous allons entendre ce soir. J’ignore s’ils se connaissaient avant de faire ce voyage ensemble aujourd’hui, mais qu’importe, c’est parce que ce sont eux qu’ils sont là, en amitié avec Montaigne & avec nous.

    Dans ce paysage si particulier, près de cette tour mythique d’où Montaigne voyait le monde, où il écrivait, où il aimait.

     

    Qu’il me soit permis de glisser au passage la présence affectueuse d’un ami ébouriffé qui fut domestique ici et qui a écrit un des livres les plus considérables que je possède dans ma bibliothèque dans lequel il écrivait : « Écrire comme on tâtonne, frissonne, entrer par effraction dans la nuit de la langue, pressentir un espace, des sites à reconnaître de mémoire, c'est cela le sentiment géographique, sentiment que toute rêverie apporte sa terre, » Il s’agit on l’a compris du Sentiment géographique (1976) et de frère Michel Chaillou. Il aimait la Loire et la Gartempe, comme Marie-Hélène Lafon, que nous allons écouter, aime sa rivière, la Santoire, comme Michel de Montaigne aime sa Lidoire, & Pascal Quignard la Seine (qui est un fleuve), l’Yonne & la Bièvre de son ami Sainte-Colombe.

     

    Le paysage, le pays, traversé de rivières, sera donc, en amitié, dans l’échange et la lecture que nous allons faire avec Marie-Hélène Lafon qui depuis son premier livre Le soir du chien en 2001, qui obtint le prix Renaudot des lycéens, jusqu'à cette Histoire du fils qui va paraître dans quelques jours chez son éditeur fidèle Buchet Chastel, en passant par Joseph, Nos vies, Les pays, Les derniers indiens, Traversée, Album… creuse le langage et le paysage de son cher Cantal, certes, mais plus largement celui de la littérature.

    D’ailleurs en exergue à Histoire du fils elle a copié des mots de Valère Novarina : « Le langage est notre sol, notre chair. Je me représente toujours le chantier comme un creux, une ouverture du sol, et l’avancée d’un texte, sa progression, comme une marche en montagne. »


    Nous allons commencer avec ça, creuser le langage, creuser le paysage, écouter le travail de la rivière.

     

    Claude Chambard

    Introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l’église Saint-Michel- de-Montaigne

     

    Une fois n'est pas coutume, comme on sait, voici quelques lignes miennes qui furent l'introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l'église Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 septembre 2020, avant que les voûtes résonnent du récit-récital de Pascal Quignard & Aline Piboule, "Boutès ou le désir de se jeter à l’eau". Ces quelques lignes ne prétendent qu'à ceci, ouvrir et faire souvenir de ces deux moments exceptionnels réunis grâce à la fine intelligence, à la fine prescience, de Marie-Laure Picot, pour son Festival Littérature en jardin. Qu'elle en soit, une nouvelle fois, remerciée.

  • Lambert Schlechter, « Le Ressac du temps »

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    « Montaigne et les dates. Il y en a peu, explicitement, dans les Essais, mais il y en a.

     

    Il date sa retraite du 28 février 1571, jour initial de sa trente-neuvième année. Il date le “Au lecteur” de ce premier mars mille cinq cent quatre-vingt, c’est le lendemain de son quarante-septième anniversaire.

     

    &

     

    Lire Montaigne. – Quelques mois avant de se suicider Stephan Zweig écrit qu’il lit Montaigne chaque jour.

     

    Marcel Jullian écrit à propos du suicide de Zweig, que celui-ci est peut-être mort de l’avoir [Montaigne] de trop près connu, – et poursuit : Sur le mot qu’il a laissé, il confesse que, n’ayant pas la force d’âme de Montaigne, dont il avait entrepris la biographie, il ne pouvait pas attendre que vienne l’aurore.

     

    Lire Montaigne. – Raymond Petit, jeune résistant luxembourgeois assassiné par les nazis était grand lecteur de Montaigne.

     

    Lire Montaigne. – Nous ne lisons pas “Montaigne”, nous cultivons notre narcissisme dans une lecture sélective, qui trouve évident que l’auteur s’intéresse à son Moi. (Marie-Madeleine Fragonard dans la préface de son édition des Essais, Pocket, 1988). »

     

    Lambert Schlechter

    Le Ressac du temps – le murmure du monde 5

    Les Vanneaux, 2016

    https://editionsdesvanneaux.wordpress.com/

     

    pour fêter l'anniversaire de Montaigne, 28 février 1533