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  • Claude Chambard, « dans le milieu du chemin de la vie », une lettre à Christophe Manon à propos de son « Provisoires », aux éditions Nous, 2022

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    Christophe Manon & Sophie Chambard,

    Provisoires, 6 exemplaires, Collection Le singulier imprévisible, octobre 2018

     

     

    Cher Christophe,

    ah ce livre de ta grande & belle & vraie & pure maturité

    c’est toi, ce livre, c’est nous, longtemps il travaille

    & fermente heure après heure — il lève —

    longtemps, il nourrit, protège

    & nous aime — ses amis

    cette amitié, ah, cet amour, cette grâce — tu l’as —

    les voici données — l’amour est si féminin,

    toujours on peut le conjuguer, l’accorder,

    le recevoir & l’offrir comme ceci —

    il n’y a pas de dernier, ni de premier, il y a le poème

    en pleine page, en plein cœur —

    blanc de soleil si brillant —

    aimer, il le faut, il faut l’aimer

    il faut aimer, poursuivre un matin,

    c’est un matin

    craignons le soir

    c’est le temps — à tous les temps, tu sais —

    fugitif, tu dis : provisoire(s)

    sans impatience, encore vivant(s), provisoire(s),

    sous la pierre,

    nous y parviendrons

    & nous chasserons ce qui dans le vivant fait le mort

    — & l’inverse —

    dans le milieu du chemin de la vie

    ici, au plus plein de nos cœurs —

    enfin vers les beaux yeux je reportai mes yeux

    ce mystère au cœur entre les effacements

    puisque c’est à grande vitesse

    & qu’à peine en fleurs les fruits,

    à la porte si blanche,

    fondent ton poème dans le jardin si frais

    — extrême & lumineux —

    chaque page, chaque vers, chaque mot,

    effet de loupe pour nous dire, au plus près,

    notre histoire / les morts

    cette poignante histoire, oui, qui est la nôtre

    comme tu sais depuis toujours déjà

    & ces soupirs qui s’échappent des livres de nos ancêtres

    qui par notre entremise se portent à l’ombre de nos vergers,

    au cœur de nos jardins — la nuit effaçant la nuit

    qui efface le jour qui est notre ultime demeure

    — une pâture de vent nouvelle

    puisque ton livre est une merveille

    qui s’est détachée de tout pour n’être que toi

    — que de toi —

    pour nous

     

    Ton vieil ami, Claude

     

    Christophe Manon

    Provisoires

    éditions Nous, 2022

    https://www.editions-nous.com/manon_provisoires.html
  • Andrea Zanzotto, « Les Pâques »

    AVT_Andrea-Zanzotto_5510.jpeg

    DR

     

    « IL Y AVAIT QUELQU’UN

     

    Comme un soir nous arrivions

    entre herbe et nuage     quelques peu dispersés     au-dehors

    elle et les deux loupiots et de belles ombres impétueuses…

    Fermentation du bois     une odeur de plus

    et ce j’étais-ça uniquement physique

    et me tenais dans un fort pauvre juillet

         indemne, ce juillet, de moi et des miens

    moi pas indemne, eux tous (très bientôt) lapinots.

    Parce qu’il y avait : bien close et toute petite

    toute perdue, l’étable. Rêvée dans un rêve frugal

    par un regard dénué d’enthousiasme — l’herbe

    atteignant le bord des fenêtres —

    les lapinots mère et fils dans l’étable

    un peu prisonniers un peu         Ah, et

    ne les aime pas ne suis les et personne n’est les.     Personne.

    Et partout presque sans couleur ce qu’ils regardent,

    le foin fil à fil ils mâchonnent et regardent : s’il pleut ?

    Dure en bois-de-lapin la soirée

    ici, deux fils broutés, l’œil

    un peu doux un peu craintif.

    Et quelle lointaine lointaine histoire.

    Ce n’est pas une façon de marcher je le sais.

    La pureté (du moins) entrebâillée, à deux pas, et ainsi l’au-delà,

    c’est-à-dire nous : fussions-nous amoureux l’un de l’autre

    fussions-nous amoureux d’un peu de nourriture

    fussions-nous, dans la lueur du soir…

    Maman-lapin deux poupons et — goute à goutte —

    dans le dispersé le perdu.     Flou.

    Mais enfin ce n’est pas en vain que tout arrive

    si petit à petit tout lapine de légers

    lapinements. Et je ne vais pas plus avant

    que la fasciole du soir, que le rideau humide,

    que le foin pris entre les signes         et j’écoutai :

    hennir glapir marmonner         dans le revers le repli.

    Il y avait une fois quelqu’un, à présent

    il broute, fourre son museau où il peut.

    Un dessin-design absolument parfait

    pourtant : de là s’élancera :

    lapinotant à nous refaire

    gambarder, longues jambes, jampignons, de partout

             — Elle l’a dit l’institutrice

             l’ont dit Lewis et Alice. »

     

    Andrea Zanzotto

    Les Pâques

    Traduit de l’italien par Adriana Pilia et Jacques Demarcq

    Préface de Christian Prigent

    Nous, 1999
    http://www.editions-nous.com/zanzotto_lespaques.html

  • Christophe Manon, « Au nord du futur »

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    Christophe Manon. photographie ©Sylvain Maestraggi

     

    « Parfois l’amour aussi

    est ce qui nous émeut d’être à ce point présent et d’une intense

    douceur et ce qui nous reste de baisers nous en usons

    pour sécher les larmes sur les joues de nos semblables et faire durer

    le présent d’une joie qui ne veut pas

    mourir et du silence saturé de poison la part

    qu’il revendique inlassablement nous recevions l’accolade maintenant

    les beaux noms nous les consignons dans nos livres franchissant

    l’obscurité en des gestes fragiles donnant

    mémoire à ce qui fut brisé afin

    que ce qui a été rendu visible ne soit pas

    effacé et qu’il ne reste pas

    de mots sans sépulture. »

     

    Christophe Manon

    Au nord du futur

    Nous, 2016

    http://editions-nous.com/