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nuit

  • Gustave Roud, « Nuit », extrait

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    Fernand Cherpillod, vers 1940

     

    « […] Pauvre mémoire prise au piège de ses charmes, assoupie avec mon corps, c’est elle qui repose avec lui là-bas vers la table où frémit encore la mince flamme, sous le mur lavé d’ombre grise et rose – et mon esprit connaît enfin sa pure liberté. Mon esprit exulte au cœur même de l’attente ! Il bondit dans sa prison de pierre et de plâtre. Il vole. Il épouse, délivré, toutes les formes de ce hasard qui le sauve. Il se fait table, il se fait lit, il est pour une seconde le lambeau de soie verdie où s’accote mon corps. Il est l’ombre du papillon nocturne, imité en riant les vertiges de ce pauvre petit corps de plume et de cendre, échappé comme lui à la nuit sans conscience, fragile veilleur du monde perdu. La nuit va finir, et la flamme t’attend, petite présence bientôt brûlée, petite présence avant la grande présence d’Aimé. Comme tu étais beau dans ton espèce d’implacable folie ! Mon esprit las de te suivre, saisi par ton destin, se taisait, se faisait comme toi minuscule et alors du deviens immense, avec tes yeux noirs et brillants, tes ailes déjà fripées par les meurtrissures. Tu es mort, et je veux qu’ici tu revives, roulé dans ton manteau de laine couvert de signes.  Peints comme d’un cil – j’essayais de lire leur fable mystérieuse et maintenant je sais : solitude, solitude, balbutiait l’arabesque rouge et noire, rançon des créatures sans poids, et puis tout de suite la mort. Ah, il n’y avait plus de papillon, plus d’homme ! Deux êtres, deux solitudes confrontées, – la même, dans le brutal silence universel. Compagnon d’avant l’aube, mon esprit te parlait comme à un frère très aimé, e suppliait comme lui d’attendre, et ta seule réponse : un coup d’aile plus ivre que la sienne – la bon dans le brasier.

     

    Le jour se lève.

     

    Des fenêtres se creusent dans les murs ; je touche l’aurore. Les grappes de feuillages laissent choir leur ombre feuille à feuille. Le vent se lève, comme un vin dans ma gorge, le vent vierge sur mon cœur nouveau, mon corps nouveau. Une porte s’ouvre ; j’entends un pas sur les pavés, sur la route, à travers l’herbe, le bruit d’un corps qui frôle un mur, une voix qui demande : “Tu sors toujours ? Voilà le soleil.”

    Une main paraît dans l’embrasure, bat l’air et se pose en hésitant sur la pierre. Une sombre main brune et dorée, si lourde, si forte que le monde retrouve son poids d’un seul coup. Et celle que je noue à ces doigts d’homme est soudain tellement vivante que j’ai compris.

     

    Un corps nouveau, un cœur nouveau.

    […] »

     

    Gustave Roud

    Essai pour un paradis — janvier-décembre 1932

    Mermod, 1932, ici version de la Bibliothèque des arts, 1978