Niki Giannari, « Des spectres hantent l’Europe », Georges Didi-Huberman, « Passer, quoi qu’il en coûte »
photogramme du film de Maria Kourkouta & Niki Giannari
Des spectres hantent l'Europe
https://www.youtube.com/watch?v=VReuK17ouDM
« Tu avais raison.
Les hommes vont oublier ces trains-ci
comme ces trains-là.
Mais la cendre
Se souvient. »
& & &
« On ne témoigne jamais pour soi. On témoigne pour autrui. Le témoignage vient d’une expérience bouleversante, souvent ressentie comme indicible et dont le témoin, depuis la position qu’il occupait (position d’actant, de souffrant ou de regardant) doit faire foi aux yeux d’autrui, aux yeux du monde entier. Il donne alors forme à ce qu’il doit — d’une dette éthique — comme à ce qu’il voit. Le témoin fait foi, doit, voit et donne : depuis une expérience qu’il a vécue, quel que soit le mode de cette implication, vers toutes les directions de l’autrui. Il donne sa voix et son regard pour autrui. L’autrui du témoin ? C’est, d’abord, celui qui n’a pas eu le temps ou la possibilité de signifier son geste ou sa douleur : c’est le réfugié d’Idomeni quand il demeure muet, occupé aux tâches de l’immédiate subsistance. C’est ensuite, celui qui n’a pas le temps ou le courage d’écouter cet acte ou cette souffrance : c’est le nanti de la grande ville quand il demeure indifférent, occupé aux tâches de sa vie confortable. Le témoignage se tient donc “entre deux autruis”, il est en tous cas un geste de messager, de passeur, un geste pour autrui et pour que passe quelque chose. »
Niki Giannari
Des spectres hantent l’Europe
traduit du grec par Maria Kourkouta
suivi de Georges Didi-Huberman
Passer, quoi qu’il en coûte
Minuit, 2017