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xiii

  • Juan Gelman, « Notes XII & XIII »

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    DR»

     

    « NOTE XII

     

    les rêves brisés par la réalité

    les compagnons brisés par la réalité/

    les rêves de compagnons brisés

    sont-ils vraiment brisés/perdus/rien/

     

    pourrissent-ils sous la terre ?/leur éclat brisé

    disséminé en petits morceaux sous la terre ?/un jour

    les petits morceaux vont-ils s’unir ?

    va-t-il y avoir la fête des petits morceaux qui se réunissent ?

     

    et les petits morceaux des compagnons/se réuniront-ils une fois ?

    marchent-il sous terre pour se réunir un jour comme dit manuel ?/se réuniront-ils/ un jour ?

    de ces petits morceaux aimés est faite notre concrète solitude/

    nous avons per/du la douceur de paco/la tristesse d’haroldo/la lucidité de rodolfo/le courage de tant et tant

     

    à présent ils sont de petits morceaux disséminés sous tout le pays

    de petites feuilles tombées de la ferveur/de l’espoir/de la foi/

    de petits morceaux qui furent joie/lutte/confiance

    dans les rêves/les rêves/les rêves/les rêves/

     

    et les petits morceaux du rêve/se réuniront-ils une fois ?

    se réuniront-ils un jour/les petits morceaux ?

    nous disent-ils de les accrocher au tissu du rêve général ?

    nous disent-ils de rêver mieux ?

    à manuel scorza

     

     

    NOTE XIII

     

    chaque compagnon avait un morceau de soleil/

    dans l’âme/dans le cœur/dans la mémoire/

    chaque compagnon avait un morceau de soleil/

    et c’est de cela que je parle

     

    je ne parle pas des erreurs qui

    nous ont conduits à la défaite/pour l’instant/non

    je parle de l’arrogance/de l’aveuglement/du délire militariste de la direction/

    je dis que chaque compagnon avait un morceau de soleil

     

    qui lui illuminait le visage/

    lui donnait chaud dans l’effroi nocturne/

    l’embellissait en lui mettant la joie aux yeux/

    le faisait voler/voler/voler/

     

    se sont-ils éteints ces morceaux de soleil à présent ?/à présent que les compagnons sont morts/se

    sont-ils éteints leurs morceaux de soleil ?/ne leur éclairent-ils pas toujours

    âme/mémoire/cœur/leur réchauffant

    le talon les os mitraillés d’ombre ?

     

    petit soleil qui ainsi s’éteignait/

    tu éclaires encore cette nuit/

    où nous restons à regarder la nuit

    vers le côté où monte le soleil »

    Juan Gelman

    Vers le sud et autres poèmes

    Présenté et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet
    postface de Julio Cortázar

    Gallimard, coll. Poésie, 2014