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Écrivains - Page 73

  • Lucrèce, “Au cœur des ténèbres…”

    Lucrece.jpg“Au cœur des ténèbres nous voyons ce qui est dans la lumière : car l’air le plus proche, assombri par cette noirceur, et qui est entré le premier dans nos yeux, qui a envahi cette place ouverte, est talonné et rejoint par un air porteur de feux, air lumineux qui purge nos yeux de ces ténèbres et dissipe les noires ombres antérieures ; air plus mobile, aux particules plus nombreuses, plus déliées et, par là, plus puissant. À peine a-t-il empli de lumière les canaux de nos yeux, à peine a-t-il rendu la liberté à ceux qu’assiégeait un air ténébreux, qu’aussitôt, à sa suite, arrivent les simulacres des objets situés dans la lumière, qui peuvent alors assaillir notre vue. Et si, inversement, nous sommes incapables, en pleine lumière, de percer l’intérieur des ténèbres, c’est que l’air plus épais qui s’amasse derrière le jour emplit les canaux des yeux et obstrue tous les accès offerts à la lumière, empêchant l’émission des simulacres d’émouvoir notre vue.”

    Lucrèce “Simulacres et illusions”,

    in La nature des choses

    Traduit du latin par Chantal Labre

    Arléa, 2004

     

  • Isabelle Baladine Howald, "La Douleur du retour"

    la_douleur_du_retour.png André du Bouchet est enterré dans le cimetière de Truinas, modeste commune de la Drôme. Philippe Jaccottet a consacré un livre à l’enterrement, à la mémoire de son ami poète, à ce qui les réunissait, au « chagrin qui est une espèce de joie », Truinas, le 21 avril 2001, aux éditions de la Dogana. Ce livre est absolument saisissant qui interroge la poésie devant la mort.

    Quelques années plus tard Isabelle Baladine Howald – qui a lu le livre – a demandé à un couple de ses amis de l’emmener au cimetière de Truinas. Elle marche à petits pas, précautionneux ce qui lui donne une ampleur infinie que le paysage doucement lui restitue en l’acceptant absolument. Elle escalade le muret « un carré d’herbe entre ces vieux murs, une douzaine de tombes éparses ». Le nom sur une ardoise, l’écriture toujours. Que peut la poésie ? Déplacer « vers l’exactitude dans le déplacement lui-même. » C’est tout l’enjeu de ce mince livre qui s’inscrit résolument dans la réflexion que mène Isabelle Baladine Howald « comme sous l’effet d’un souffle » et que son écriture, si personnelle – fragile, friable, souple… – nous restitue  – sens, forme, langue, sentiment. Indispensable en ces temps de disette.

    Claude Chambard

     

    Isabelle Baladine Howald

    La Douleur du retour

    La Cabane

    20 p. ; 6 €

    http://www.editionsdelacabane.fr/

     

  • Enrique Vila-Matas, Étrange façon de vivre

     

    « Moi, j’étais un homme dont les jours particulièrement mémorables brillaient par leur absence. Mais, en ce jour d’hiver, tout avait l’air de se dérouler de façon parfaitement anormale, ce jour avait, semblait-il, pour vocation de se transformer en l’un de ceux que, avec le temps, notre mémoire finit par retenir comme des longues journées, et sur lesquels il nous arrive même — comme je le fais, depuis des jours, ici à Premià, à l’ombre de ce mûrier centenaire — d’écrire ; oui, nous écrivons sur eux, obsédés par ce jour où notre vie tout entière a pris, en quelques secondes, une orientation décisive, nous écrivons parce qu’il ne nous reste rien de mieux à faire que de nous en souvenir et nous écrivons que nous nous en souviendrons toujours. Nous ne vivons plus, nous nous contentons d’écrire sur lui : étrange façon de vivre. »

     

    vila-matas,bourgois,gabastou,titresEnrique Vila-Matas

    Étrange façon de vivre

    Traduit de l’espagnol par

    André Gabastou

    Christian Bourgois, 2000,

    réédition coll. Titres n° 97

     

  • Boris Pasternak, Le Poème en février

    pasternak,robin,anarchie,jean-paul rocher,févrierTraduit par Armand Robin dans Poèmes de Boris Pasternak  aux éditions Anarchistes en 1946.

    Réédité dans  le Combat libertaire par les éditions Jean-Paul Rocher en 2009.

     

     

     

    pasternak1.jpgLE POÈME EN FÉVRIER

    Février. Prendre un encrier, pleurer !
    Dans les sanglots écrire sur février
    Tout le temps que la goguenarde boue met
    À devenir sur le printemps d’encre un reflet.

    Prendre un cab. Pour deux tiers d’un rouble,
    Via les sonneries au ciel, le cri des roues.
    Rouler jusqu’où l’averse est alarme
    Encore plus criarde qu’encrier, larme.

    Tout autour, dans la neige fondante cent creux d’encre,
    Bourgade par les freux croassants défoncée.
    Et plus il y a de contingent, plus sûre en l’encre
    Des sanglots la poésie est agencée.

  • Bernard Manciet, Ampelos

    Bernard_Manciet_04-Fellonneau-couve-4.jpgLe manuscrit de ce livre était sur la table de travail de Bernard Manciet lorsque la mort s’en est venue le chercher. Les dieux ont-ils pleuré ? Quelques vivants (pour encore peu de temps) sans aucun doute… La disparition de Manciet est la fin de quelque chose de plus grand que lui, la fin d’un modèle de résistance aux prés carrés. Mais l’arbre, qui parfois cachait la forêt, n’est pas encore coupé, c’est à peine si quelques feuilles sont recroquevillées. Les poètes occitans, des nouvelles générations, doivent trouver ici le modèle et savoir le dévorer et le dépasser.

    Le chant, la célébration, la langue, n’ont pas de particularismes locaux, ils sont de toujours et maintenant, d’ici et d’ailleurs, dans toutes les langues, la grandeur de la poésie est à ce prix. Manciet l’avait bien compris. Ce dernier volume en est la preuve encore, au travail dans les langues, pour une unique réussite. « Il faut mourir en couleurs terribles – que cau color-morir pauruc », écoutez la langue chanter, « dormir ne pas dormir mais/rêver le rêve – dromir non pas dromir mès/saunejar lo saunei », écoutez la langue bruire, « dans la chair luisante de la nuit/le jeune impétueux se repose/il dort dans la vision/toutes les sources de sa chair/parlent dans la vieille parole – debs la carn lusenta de la nueit/lo hodre joen se repausa/que dròm dens la vision/las dotz tota de sa carn/parlan dans la vielha paraula », écoutez la langue éternelle de Manciet, c’est-à-dire la langue éternelle de la poésie du monde entier.


    Claude Chambard


    Bernard Manciet
    Ampelos
    Bilingue : français/occitan
    Traduit de l’occitan par l’auteur et Guy Latry
    14x21 ; 80 p. ; 13 €  – isbn : 978.2.914387.92.7
    L’Escampette éditions

  • Un jour de fatigue

    Des mots de James Lee Burke pour viatique afin de ne pas sombrer (?)

    arton2152.jpg


    “Qu’est-ce que je peux dire ? On vit une époque de malades. Tu veux mon opinion ? Ouvre donc quelques colonies pénitentiaires au pôle Nord, là où vivent les pingouins. Débarrasse-toi de tous ces salopards de merde et ramène-nous donc un peu de propreté avant que la ville tout entière ne se transforme en chiotte.”

     

    James Lee Burke

    Dans la brume électrique avec les morts confédérés

     Traduit de l’américain par Freddy Michalski

    Rivages, 1999

  • Jean-Pierre Ostende - Et voraces ils couraient dans la nuit

    arton22832-bc6fe.jpgUn nouveau livre de Jean-Pierre Ostende à paraître le 2 février aux éditions Gallimard, voilà une bonne nouvelle.

    Et voraces ils couraient dans la nuit.

    En plus l'auteur s’est amusé à faire une bande annonce que l’on peut voir sur Dailymotion, histoire de donner envie.

    En tous cas on attend avec impatience la sortie du livre.

    http://www.dailymotion.com/video/xgh84n_jean-pierre-ostende-et-voraces-ils-couraient-dans-la-nuit_creation

  • Jean-François Bory : d'Annunzio

    avec méthode mais « comme en vacances »

    Jean-Francois Bory_La Touriale.jpg

     

    Voici un joli petit livre dont chacun pourra tirer profit s’il a un tant soit peu de curiosité, d’humour, de goût pour la digression, la surprise, et la prose (re)tenue – c’est dire si elle est absolument débridée.
    On ne présente plus Jean-François Bory qui, depuis longtemps, délivre du plaisir, de la dérision, et des raisons de croire encore aux pouvoirs de la littérature puisque aussi poète visuel soit-il, le récit ne l’a jamais abandonné – ou est-ce l’inverse – et voici qu’il nous en apporte une nouvelle preuve joyeuse bien qu’érudite. De D’Annunzio, donc il est question, mais aussi de Walter Scott, du monstre du Loch-Ness, de Francis Ponge, de Jules Renard, d’Ivan Messac, de traduction, d’un hôtel rococo au bord du lac de Garde, de plusieurs fiancées, de la Yougoslavie – et principalement de la recherche de la direction du château de Trsat –, du Vittoriale, d’un œil +un œil perdus… bref « de la vie, c’est-à-dire pour moi, de l’écriture ».
    Problématique D’Annunzio ? Certes. Mais si on ne « s’intéresse à rien qu’à tout à la fois », le terrain est libre, la rive ferme, le ratage infini, et l’objet du mythe toujours repoussé d’être approché « avec méthode, mais “comme en vacances” ». D’ailleurs, il reste, à Jean-François Bory, plusieurs « façons » de rater un livre sur Gabriele D’Annunzio et c’est tant mieux.


    Claude Chambard


    Jean-François Bory
    Dix-sept façons de rater un livre sur D’Annunzio
    Spectres familiers
    72 p. ; 12 € ; isbn : 978.2.909857.13.8

    Pour la photographie de Jean-François Bory merci à Poésie Marseille

  • De seuil en seuil

    Hier, Anne-Françoise Kavauvea a mis en ligne un article sur trois de mes livres. Non seulement sa lecture est d'une justesse rare mais elle lève quelques lièvres qu'elle a été jusqu'à maintenant la seule à voir courir, je l'en remercie. Une telle lecture du travail d'un auteur me semble suffisamment rare pour être soulignée. Et tous les articles d'Anne-Françoise Kavauvea sont du même tonneau. Je me dois donc de vous inciter à lire son blog le plus régulièrement possible.

    http://annefrancoisekavauvea.blogspot.com/2011/01/claude-chambard-lire-ecrire-vivre.html

    Tannhaüser+détail.JPG


  • Bonne année 2011 avec Emily Dickinson

    Que tous mes vœux vous accompagnent au long de cette année nouvelle.

     

    « Fais moi un tableau du soleil —
    Que je l’accroche dans ma chambre.
    Et fasse semblant de me réchauffer
    Quand les autres s’écrieront “Jour” !

    Dessine-moi un Rouge-gorge — sur une tige —
    À l’entendre, je rêverai,
    Et quand les Vergers ne chanteront plus —
    Rangerai — mon simulacre —

    Dis-moi s’il fait vraiment — chaud à midi —
    Si ce ne sont des Boutons d’or — qui “voltigent” —
    Ou des Papillons — qui “fleurissent” ?
    Puis — omets — le gel — sur la prairie —
    Omets la Rousseur — sur l’arbre —
    Jouons à ceux-là — jamais n’adviennent ! »


    Emily Dickinson
    Y aura-t-il pour de vrai un matin, Cahier 9
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Malroux
    José Corti, 2008

  • Lionel Bourg, Comme sont nus les rêves, L'immensité restreinte où je vais piétinant

    Bourg_Lionel.jpgLionel Bourg

    Comme sont nus les rêves

    Apogée

    148 p. ; 15 €

    L’immensité restreinte où je vais piétinant (poèmes)

    suivi d’un entretien avec Thierry Renard 

    La Passe du vent

    128 p. ; 10 €

     

    Lionel Bourg est un homme en marche. Depuis 1949. Même la fatigue ne l’arrête pas. La maladie, à peine. Il se contente de se calfeutrer un temps sous les toits – lézardés, crevassés mais classés – où il « campe entre des piles de bouquins et des monceaux d’objets hétéroclites » – de sa ville de Saint-Étienne (après son Saint-Chamond natal distant de 11 kilomètres) — au célèbre stade Geoffroy-Guichard, car on peut être poète et aimer le football et même en parler au Cameroun. Et puis il repart. N’écrit-il pas qu’il faut « se perdre au sein de sa propre stupeur ». Pourtant en voyage « l’angoisse le dispute au bien être ». Adolescent, il faisait halte dans des troquets, avec Antoine qui voulait rapidement craquer la jolie rondelette qu’avait amassée sur son livret de caisse d’épargne des parents qu’il ne supportait plus, espérant ainsi fuir son milieu originel. Aujourd’hui il les affectionne moins, l’âge venant et Nadja ne venant plus. Reste les parcs où flâner où regarder les gouttes tomber dans le bassin, où cueillir « une fleur dont les pétales se détachent aussitôt : il est amer le goût des baisers que l’on n’osa voler ». Reste la campagne à vaches et la visite aux momies deux, trois fois l’an – « j’ai le goût des pèlerinages » –, reste la Bretagne. Reste Elice Meng qui délivre ces personnages « de l’ombre où ils étaient ensevelis », reste Rebeyrolle, Lequier. Reste Pirotte, Josse et Michaël Glück  – « C’est de nécessité qu’il s’agit. » Reste la lettre de l’oncle « si triste, si pleine de chagrin et de mélancolie ». Reste Jean-Jacques, Villon, Rutebeuf et Nerval, Hölderlin, Larbaud, Ginsberg, Rimbaud, Baudelaire, Cendrars et Scève, reste Melville, reste Breton… « La poésie, dites, la poésie, qu’est-ce que c’est ? » Quand on est peu ou mal aimé, qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est…

    « Je me souviens enfant des mots qui m’obsédaient » dit le premier vers d’un poème et cet autre « Comme les jours sont longs et longue cette attente ». Plus sombre que sa prose, la poésie de Lionel Bourg est d’un seul tenant, tirant à elle les poètes qui l’accompagnent. Poursuivre avec eux est une nécessité et, au fond, le seul viatique, le principal enjeu de ce grand livre.

    « La poésie, dites, la poésie, qu’est-ce que c’est ? » Peut-être simplement la recherche d’« une phrase ultime un geste dérisoire quelque chose / d’indéfinissable vraiment… ». Toute l’œuvre de Lionel Bourg.

    Claude Chambard

     

     

  • Bernard Noël, 80 ans

    Aujourd’hui, 19 novembre 2010,

    Bernard Noël a 80 ans.

    Excellent anniversaire Bernard.

     

    b.noel-2.jpg« Sous ma porte, une lettre.

    Une feuille bleue dans une enveloppe blanche.

    C’est la lettre du 19. Je la reçois une fois l’an, et, par chance, quelqu’un l’a fait suivre cette année encore.

    Où es-tu ?

    Je t’écrivais : « ma petite âme », à cause de ton visage de mouette. J’ai perdu ta vue. Et tu parles maintenant de cette part de vie qui est trop belle pour être mal vécue,

       la vie, la vue

       et l’espace blanc,

       il ne se passe rien, et c’est tout.

    Une chambre blanche… Comment dire ? nous étions suspendus dans cet espace blanc… un blanc qui faisait une voûte très haute, s’estompant à l’infini… et le ciel tombé infiniment blanc. Nous étions là, assis face à face, au pied d’un immense lit, dont la tête disparaissait dans la brume blanche… Et rien, sauf la vie si tendue qu’elle presse la peau à tel point que la voici devenue blanche… la vie extrême… le lien invisible.

    Cette lettre, d’où venue ? je ne peux y répondre, aussi ressemble-t-elle au livre que je n’écrirai qu’en mourant, car il sera ma vie. Et le désir me vient de déranger cette dérangeante pensée n’importe comment. J’ouvre à ma droite et :

    Rendre hommage à notre passé est le seul geste qui comprenne aussi l’avenir.

    Celui qui parle ainsi est un livre auquel j’arrache aussitôt sa page, car le consultant de l’oracle rêve d’arracher la langue qui le gratifie afin de la conserver en l’état le meilleur d’elle-même. Ô langue, tu n’auras plus de bouche pour te trahir ! Et je la fourre dans ma poche, qui vaut bien, après tout, l’autre sac à paroles.

    Je m’assieds.

    Je vois le fleuve : l’image et son souvenir ne sont-ils pas séparés comme l’image et son reflet ? Mais le souvenir tire son image du temps, alors que le reflet descend dans l’épaisseur de l’eau.

    Je voudrais penser quelque chose qui ne soit pas ce que peux penser.

    Et laisser les livres fermés.

    J’écris :

    […] »

     

    Bernard Noël

    Le 19 octobre 1977

    Flammarion, coll. Textes, 1979