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Édition - Page 53

  • Juan Gelman, « Vers le sud »

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    sur la poésie

     

    « il y aurait deux choses à dire/

    que personne ne la lit beaucoup/

    que ce personne c’est très peu de gens/

    que tout le monde ne pense qu’aux problèmes de la crise mondiale/et

     

    au problème de manger tous les jours/il s’agit

    d’un sujet important/je me rappelle

    quand l’oncle juan est mort de faim/

    il disait que manger il ne s’en souvenait même pas et qu’il n’y avait pas de problème/

     

    mais le problème vint plus tard/

    il n’y avait pas d’argent pour le cercueil/

    et quand finalement le camion municipal passa pour l’emporter

    l’oncle juan ressemblait à un petit oiseau/

     

    ceux de la municipalité le regardèrent avec mépris et dédain/ils murmuraient

    qu’on leur casse toujours les pieds/

    qu’eux ils étaient des hommes et qu’ils enterraient des hommes/et non

    des oisillons comme l’oncle juan/spécialement

     

    parce que l’oncle s’était mis à chanter cui-cui tout le long du voyage au crématorium municipal/

    ce qui leur avait semblé un manque de respect dont ils étaient très offensés/

    et quand ils lui donnaient une tape pour qu’il ferme sa boîte/

    le cui-cui volait dans la cabine du camion et ils sentaient que ça leur faisait cui-cui dans la tête/l’

     

    oncle juan était comme ça/il aimait chanter/

    et il ne voyait pas pourquoi la mort était une raison pour ne pas chanter/

    il entra dans le four en chantant cui-cui/on sortit ses cendres elles piaillèrent un moment/

    et les compagnons municipaux regardèrent leurs chaussures grises de honte/mais

     

    pour en revenir à la poésie/

    le poètes aujourd’hui vont assez mal/

    personne ne les lit beaucoup/ce personne c’est très peu de gens/

    le métier a perdu son prestige/pour un poète c’est tous les jours plus difficile

     

    d’obtenir l’amour d’une fille/

    d’être candidat à la présidence/d’avoir la confiance d’un épicier/

    d’avoir un guerrier de qui chanter les exploits/

    un roi pour lui payer trois pièces d’or le vers/

     

    et personne ne sait si ça se passe comme ça parce qu’il n’y a plus de filles/d’épiciers/de guerriers/de rois/

    ou simplement de poètes/

    ou les deux choses à la fois et il est inutile

    de se casser la tête à penser au problème/

     

    ce qui est bon c’est de savoir qu’on peut chanter cui-cui

    dans les plus étranges circonstances/

    l’oncle juan après sa mort/moi à présent

    pour que tu m’aimes/ »

     Juan Gelman

    Vers le sud et autres poèmes

    Présenté et traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet
    postface de Julio Cortázar

    Gallimard, coll. Poésie, 2014

  • Maël Guesdon, « Voire »

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    « Entendre la chose se casse — après tout. Tu sais comment trouver.

    Sortons. Il n’y a pas de refuge, de souvenirs connus. Sortons de tes bras — le sol. Jamais ne recommence.

    La danse se
    ge d’effroi où débute la danse. Juste du temps. Ferme les yeux sur ce qui s’échappe, cela ressemble à toi enfant.

     

     

    Il rentre, devine son ombre. C’est un même couloir pour venir et partir. Le bruit présent : un même couloir pliant le sort à l’extrémité.

    Là — revoir les gestes. Sans forme disent c’est la clé. »

     

     Maël Guesdon

    Voire

     Éditions Corti, 2015

    http://www.jose-corti.fr/titresfrancais/voire-mael-guesdon.html

  • Lu Yu, « Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise »

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    La chambre chaude

     

    ma fourrure douce est supérieure à du renard blanc

    mon poêle est aussi chaud que ceux chauffés au charbon de première qualité de la Cour

    le paravent en papier a la forme d’une montagne

    la couverture en tissu ressemble à un quadrillage de calligraphie

    pour ménager mes yeux le store est rarement enroulé

    pour préserver l’encens la porte est souvent fermée

    au soleil du crépuscule d’un profond sommeil je me réveille

    je me lave et scande les classiques de la Cour jaune*

     

    Lu Yu

    Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise

    poèmes choisis et traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 1995, rééd. 2012

     

     * Les Classiques de la Cour jaune : les Classiques taoïstes

  • Colette Mazabrard, « Monologues de la boue »

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    © Michèle Moulonguet

     

    « En lisière d’un bois, quelques kilomètres après Uzemain.

    “Faut vous trouver un sapin”, t’a conseillé le paysan qui épandait des puanteurs sur son champ moissonné. Nuit bombardée d’écales de pommes de pin. Compagnie des martres et des écureuils. D’un pic à forte tête. Il serait raisonnable de jeter tes chaussettes.

    Elle parle du travail : “Jusqu’à présent, ça se passait bien, animer des équipes, varier les chantiers, varier les tâches. Mais voilà, tu comprends que quelque chose ne va plus quand on te demande d’écrire ce que tu fais, heure par heure, jour par jour. Tu comprends que tu dois partir.”

    En Asie, il existe une technique de méditation où l’on se retire, pendant dix jours, dans le silence et la pénombre des paupières closes, et se livre quotidiennement au même rituel. Ton esprit constamment confronte la carte de géographie au voyage réel, au sol heurté, compare les centimètres dessinés aux champs et forêts que le regard mesure.

    Le paysage est découvert selon le déplacement de la ligne d’horizon.

    Une ombre sur la carte, les courbes de niveau plus sinueuses, tu vois la Saône, aux eaux rondes et fortes rouler à ta droite entre les racines des arbres qui tirent leur tronc très haut là-bas vers la lumière, entre les collines, des troncs qui s’étirent vers le ciel aussi haut que ceux que tu as vus dans les Himalayas il y a des rêves de cela (cette lumière d’automne qui t’assaille, qui te troue, te ramène ailleurs tu ne sais plus dans quel passé).

    Les pieds son trempés et les orteils se fripent, tu saignes dans les bois, laisses ton sang dans l’humus fabriquer tu ne sais quoi.

    La rivière a creusé une fente dans le paysage. »

     

     Colette Mazabrard
    Monologues de la boue
    Verdier, 2014

  • Antonio Moresco, « La petite lumière »

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    « Le monde change devant mes yeux. La terre est encore plus froide. Les feuilles se racornissent, tombent. Il en reste quelques-unes, çà et là, qui pendent au moignon d’une branche. Les arbres sont toujours plus nus. On ne distingue plus les morts des vivants.

    Je marche sur un tapis de feuilles cramées qui crépitent sous mes pas. Elles recouvrent entièrement les sentiers, je perçois le craquement de leurs nervures et de leurs tissus inanimés qui se brisent sous le poids de mon corps vertical qui pèse sur la terre. On n’entend presque plus de bruits, dans la forêt. Les animaux sont déjà entrés, ou se préparent à entrer, en hibernation. Ils creusent leurs petits trous dans la terre froide qui, la nuit, commence à geler et qui est déjà recouverte des premières légères chutes de neige, laissant ce voile blanc qui fond au premier soleil du jour. Ils creusent tête en bas, avec leurs ongles, avec leurs dents, pour arriver plus profond sous la terre, là où est restée un peu de chaleur.

    Ce matin dans une ruine, j’ai surpris un groupe de chauve-souris qui hibernait. Je marchais dans les ruelles désertes, entre ces murs recouverts de plantes grimpantes et cette végétation sèche et ces arbres poussés au milieu des pierres, entre ces escaliers disjoints qui montent jusqu’aux portes des maisons inhabitées. Je suis passé devant une ruine où je n’étais jamais entré. C’est étrange, cet endroit est si petit et pourtant je ne le connais pas encore complètement ! J’ai poussé du pied la porte à présent sortie de ses gonds. Elle s’est ouverte. Je suis entré. Il faisait sombre à l’intérieur, parce qu’il n’y avait pas une fenêtre. Seulement des murs en pierre et un plafond en planches, là, en haut. Tout à coup, j’ai vu en face de moi un grand nombre de chauve-souris, tête en bas, qui me fixaient de leurs yeux grands ouverts. Il y avait donc un peu de lumière, celle qui entrait par la porte que je venais d’ouvrir, même s’il semblait faire nuit. À moins qu’elle ne soit directement sortie des cercles de leurs yeux terrorisés, réveillés pendant leur hibernation. Ça a duré une fraction de seconde. Les enveloppes de tous ces corps qui, jusqu’à une seconde auparavant, étaient tête en bas, enveloppés dans les membranes de leurs noires ailes de peau, accrochés par leurs pattes aux vieilles poutres et aux saillies des murs, se sont mises subitement à voler, terrorisées, à la recherche d’une issue. Je me suis jeté contre le mur. Leurs corps noirs affolés cognaient contre les parois et le plafond. Puis elles ont trouvé le passage de la petite porte par où j’étais entré et, me heurtant de tous côtés, elles ont volé dehors dans un tourbillon d’yeux et d’ailes nues.

    Avant d’aller dormir, j’ai regardé un long moment la petite lumière. Depuis quelques temps elle brille encore plus intensément, me semble-t-il, parce que l’air est plus froid, le ciel plus limpide. »

     

     Antonio Moresco

     La petite lumière

     Traduit de l’italien par Laurent Lombard

     coll. « Terra d’altri », Verdier, 2014

  • Juliette Mézenc, « Elles en chambre »

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    « Parce que si on écrit de tout son corps… qu’en est-il des auteurs qui écrivent avec un sexe de femme ? Le sexe ne fait-il vraiment rien à l’affaire, comme le proclamait Monique Wittig : “on est écrivain ou pas” ? Nombreuses aujourd’hui sont les femmes qui écrivent, et c’est sans précédent, la littérature s’en trouve-t-elle modifiée ? Sachant par ailleurs qu’entre Barbie et sa rivale Bratz la guerre désormais fait rage, comprendre qu’elles se portent comme des charmes, que les moules sexués semblent loin bien loin d’être brisés, qu’en est-il de la femme qui écrit, échappe-t-elle à son genre ?

     

    Parce qu’écrire c’est s’arracher, faire cette tentative de bondir hors des frontières, celles assignées par la nationalité, le genre, l’espèce, hors des murs de l’identité qui délimitent trop souvent le territoire d’un moi étriqué et mesquin, hors de ce que l’on croit connaître, savoir, hors des formes répertoriées qui ronronnent, partir ! Le travail, quelle belle chose parfois ! et parce que c’est en poïeinant et en se réjouissant de poïeiner qu’on pourra faire la nique à tous ceux qui nous coupent de cette sauvagerie, ils sont légion (poïeinerie, n.f. du grec poiein “faire, fabriquer, produire, créer” qui a également donné poiêma puis poème, bref : poïeinerie = travail sauvage et irrécupérable).

     

    Parce que je crois sentir, encore, malgré tout, dans ma bouche, parfois, le fantôme de Scold’s bridle*…

     

    Parce qu’heureusement Virginia Woolf**… »

     

    Juliette Mézenc

    Elles en chambre

    L’Attente, 2014

     

     * Scold’s bridle est un dispositif de punition utilisé en Écosse puis en Angleterre jusqu’au xixe siècle à l’encontre des femmes dont le discours était jugé « médisant », « séditieux » ou « gênant ». Il s’agissait d’une muselière de en fer avec un mors, souvent garni de pointes, qui prenait appui sur la langue.

     

    ** Une chambre à soi est une conférence que Virginia Woolf a donnée à des étudiantes de l’Université de Cambridge sur les conditions matérielles et culturelles de la création.

  • Pierre Albert-Birot, « Grabinoulor »

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    Cette page est dédiée à Sylviane

     

    Extrait du chapitre seizième : On ne sait pas si Grabinoulor a les cheveux frisés mais on sait qu’il prédit l’individuïsme absolu qu’il construit le Château des Poètes et qu’il va voir Dieu

     

    «  […] à bien réfléchir le meilleur château pour eux est encore celui que chacun se construit personnellement le plus souvent en Espagne pays des grenadiers (fruits) de la sorte il est à la taille et aux commodités de qui l’habitera car en effet qu’auraient pu faire et comment auraient pu marcher poétasser et dormir dans ce château-monde édifié par Grabinoulor tous ces bouts de poètes auteurs de huit pages in 8° pleines de huit poèmes de douze vers oui on peut se poser la question et y répondre sans se mordre la langue – heureusement car ce n’est pas agréable de mordre dans cette personnelle viande-là – mais enfin Grabinoulor prétend que cela fait tout de même 96 vers ou soi-disant vers et que si méchants soient-ils – les vers et pas les poètes ni les chiens – leur auteur est quand même un poète puisqu’il a eu mais oui une intuition poétique assez ventrue pour qu’il en vint à la désentrailler et à la poser en forme de figure de mots sur un papier mais oui mesdames et messieurs écrire un poème voire un peu nul c’est faire son “Dieu dit et le Monde fut” c’est donc assez conclut Grabinoulor pour qu’il soit en état de construire tranquillement son petit château châtelet ou castelet (bonjour guignol) bien à lui “Çamsufi” où il pourra pieusement conserver ses huit pages car c’était surtout pour que les écritures des poètes (les 8 pages comme les 300) ne traînent pas dans les poubelles à bouquins au choix 1 franc – car on les y jette même quand ils sont de simples “bouquins” brochés – que Grabinoulor avait eu la fraternelle attention de construire son Château des Poètes peut-être plutôt Château des Poèmes […] »

     

    Pierre Albert-Birot

    Les six livres de Grabinoulor

    Jean-Michel Place, 1991, rééd. 2007

  • Pour Claude Rouquet

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    Claude & Claude, juillet 2014 © Sylviane Sambor

     

     Claude, mon copain,

     

    Depuis que tu as fait ta dernière galipette, mercredi, je me suis plongé dans la bibliothèque que tu as constitué au cours des 21 années & des poussières où, ayant quitté la chaussure — qui t’avait néanmoins fait rencontrer Sylviane, l’amour de ta vie, & appris le sens des affaires — ayant quitté la chaussure donc, tu avais décidé de consacrer le reste de ta vie à publier les manuscrits que tu aimais. Je puis donc dire, même si c’est facile, que ce catalogue qui s’est constitué par la grâce de tes coups de cœur & de ta remarquable mauvaise foi, te ressemble & c’est bien le moins. Au-delà de cette ressemblance ce catalogue est la vitrine lumineuse de tout ce que tu aurais pu écrire, que tu nous a donné en partage & qui constitue ton œuvre originale. Cette œuvre elle est de salubrité publique, tous tes lecteurs en conviendront, tous tes auteurs aussi. Nombreux sont ceux qui depuis mercredi — ce 13 janvier où je devais venir te rejoindre, ce 13 janvier, à deux jours près un mois avant notre fête — qui me téléphonent, qui m’écrivent & tous me disent combien sans toi leur vie n’aurait pas été la même car sans l’exigence que tu avais envers leur écriture, ils n’auraient d’évidence pas écrit la même œuvre. Ils savent ce qu’ils te doivent, comme tu sais ce que tu leur dois à chaque nouveau livre publié. Mais pour dire tout cela il faudrait un nouveau chapitre du Livre des éloges de l’ami Alberto Manguel.

     

    Donc, soyons sérieux, il est plus judicieux que je reste à ma place. On le sait, la seule chose qui nous intéresse, celle pour laquelle on fait éditeur ou auteur, ou pire les deux, c’est le pognon. Allain Glykos m’en parlait encore récemment. Tu avais cette fâcheuse habitude de toujours oublier un zéro sur les chèques annuels que tu envoyais aux auteurs. Ils l’ont tous remarqué, rares sont ceux qui se sont permis de te le dire. C’est d’ailleurs comme ça que tu t’es enrichi, que tu as pu acheter la plus belle maison de Chauvigny & que comme chacun le sait tu roulais en Bentley avec chauffeur. Un bel exemple d’enrichissement personnel. Oui, un bel exemple car cet enrichissement personnel c’est bien entendu dans les livres & nulle part ailleurs que tu l’as gagné. Des premiers poches achetés adolescent à Orléans au dernier livre publié par tes soins à ce jour — la réédition de Tu ne connaîtras jamais les Mayas de Jean-Jacques Salgon —, ce sont les livres qui t’ont porté, qui t’ont fait ce que tu es et ce pourquoi nous t’aimons, avec ton fichu caractère, ton air d’être toujours en train de préparer une farce, tes avis tranchés, tes moqueries ravageuses, mais aussi ton attention extrême, ta bienveillance affectueuse.

     

    Il n’y a eu que deux ombres à notre amitié : un poisson mal digéré & une fougère mal soulignée. Deux blagues, deux gamineries que nous avons résolues dans un grand éclat de rire dans le petit bureau de la rue Porte-Basse à Bordeaux dans lequel je venais si souvent te rendre visite.

     

    La vie est malicieuse. Tu tapais la semelle à travers la France, Sylviane, en couettes, attendait son Prince charmant, à deux pas du petit Bois de Trousse-Chemise, dans le Lot-et-Garonne. Tout a commencé par des chiffres & des lettres. Le nombre de chaussures qu’il te fallait placer pour garder ton boulot & les lettres que tu envoyais à la jeune fille en fleurs que tu enlevas bien vite. La vie est insupportable. Elle t’a fait souffrir pendant des années mais, comme ton copain Cyrano, qui donne à tous le « courage d’être des héros », tu as lutté jusqu’au bout de tes forces.


    C’est une farce, hein, tu vas continuer avec nous & nous allons poursuivre avec toi le travail commencé & qui ne prendra pas fin.

     

    Je t’embrasse bien affectueusement mon petit Clint.

     

    Ah, une dernière chose, quand ça sera mon tour, j’amènerai le sac de billes que tu as oublié parce que l’éternité, comme disait l’autre, c’est long, surtout vers la fin, alors autant continuer à s’amuser.

    Claude Chambard

     

    Prononcé lors de l'hommage à Claude le 17 janvier à L'Échappée

  • Claude Rouquet. L'hommage d'Allain Glykos

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    leur dernière rencontre, L'Échappée, 30 novembre 2014 © CC

     

    Tristesse d’avoir perdu un ami. Tristesse  d’avoir perdu l’éditeur qui a fait preuve à l’égard de mon travail d’une  exigence et d’une fidélité sans faille.
    Il aimait la littérature et les livres à un point qui me fait blêmir. Il avait de l’estime et du respect pour ses auteurs.

    Ma  seule consolation est qu’il a rejoint, n’en doutons pas, ces galopins  de Charlie et qu’avec eux, il va s’en payer une bonne tranche sur notre  dos de vivants. Car lui aussi était de la race des irrévérencieux jusqu’à la caricature quand il le fallait. Il ne dessinait pas mais avait un  bon trait d’humour. Il savait rire de lui avec férocité, des autres avec  bienveillance. On éprouvait pour lui quelque fois un peu d’agacement,  souvent de la tendresse. Son intransigeance inspirait le respect et  pouvait déclencher aussi des sourires amusés. Il était sans  complaisance, sans concession. Il en a payé le prix. C’est à ce prix  qu’il a mené d’une main ferme sa grande petite maison d’édition.

     
    Amitié à tous ceux qui l’ont aimé.

     

    Allain Glykos

  • Pascal Quignard, « Les désarçonnés »

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    photographie © :CChambard

     

    Chapitre xlii

    Ovide

     

    « L’anthropomorphose n’est pas achevée.

    On ne peut définir l’homme sans en faire une proie pour l’homme.

    La question humaniste : “Qu’est-ce que l’homme ?” énonce un danger de mort.

    Si on forme le vœu de ne pas exterminer les humains qui ne répondent pas à leur définition – religieuse, biologique, sociale, philosophique, scientifique, linguistique, sexuelle – l’homme doit être laissé comme incompréhensible.

    Ovide : L’homme doit être laissé comme non fini, c’est-à-dire comme appartenant à une espèce en cours de métamorphose infinie dans une nature qui est elle-même une métamorphose infinie. »

     

     Pascal Quignard

    Les désarçonnés

    Grasset,  2012

  • Armand Dupuy, « Sans franchir »

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    photographie © jean-marc undriener

     

     

    « Privilège de la neige où les jours se touchent,

    pendus – on ne tient qu’à grand peine ses

    pelures, ce tas de temps. On attend dans les

    yeux jusqu’à la fonte, on touche autrement.

    On récite ce fléchissement, les mains passent,

    la tête recule – ce froid, ce blanc. Ce blanc

    froid sur tout. Les pensées touchent les autres,

    elles reculent. Elles font du blanc ce blanc neuf

    et couvert. On peine à venir dans la phrase,

    trop vite épuisée. Vite essouflée. On empêche

    ce qu’il faudrait poser. C’est une quantité de neige

    dans la bouche : l’image vient bête, on s’attarde.

    Les pensées se touchent, les jours aussi, les mains. »

     

    Armand Dupuy

    Sans franchir

    Faï fioc, 2014

    http://editions-faifioc.com/

  • Amelia Rosselli, « Document »

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    « Sans toi

    transpercé, je ne sais pas détacher la connaissance

    de l’avortement de fer

    (comme d’un candide petit lit d’enfant

    séparé).

     

    Puis j’ai retrouvé une lumière

    intacte, qui était une sorte de paradis

    mal digéré.

     

    Une paire d’yeux célestes incertains,

    un rêve ou deux,

    là-bas dans la pinède malodorante ;

    je ne sus plus

    croire à la réalité avec certitude en la guidant

    dans des bois moins amoureux. »

     

     Amelia Rosselli

    Document – 1966-1973

    traduit de l’italien et postfacé par Rodolphe Gauthier

    suivi de Mots pour Documents par Olivier Gallon

    La Barque, 2014