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« Les pierres cassent
Le ciel tressaille
Effrayée la pluie d’automne se fige dans l’air
C’est alors que je découvre par la fenêtre
Un voyageur arrivant de Chang’an sur son âne
Il porte à son dos un sac de toile
Rempli d’images effarantes
Il n’est pas encore là, que les bouts de poèmes tombent comme la grêle
Enserrant la pluie glacée
Par-delà la vitre j’entends à nouveau
Xihe qui frappe le soleil avec un bruit de cymbales
Ah ! un lettré tellement maigre
Maigre
Comme un pinceau de poils de loup
Ta large chemise de toile bleue, dans le vent
Soulève des milliers de vagues
Comme on mâchonne des pois aux cinq parfums
Je mâchonne des quatrains. Des quatrains. Des quatrains
Ton regard ardent
Tient au chaud un flacon récent de vin de Huadiao
Depuis les Tang et les Song et les Yuan et les Ming et les Qing
Il verse enfin
Dans ma petite tasse
J’essaie d’enfermer le quatrain dont tu es le plus fier
Dans une jarre de vin
Je l’agite bien, et je vois monter une brume
Où ivres les mots dansent, les rythmes s’entrechoquent
La jarre cède, ta chair éclate et s’éparpille
Dans la lande sauvage, on croirait entendre
Les fantômes pleurer
Les loups gémir à la ronde
Allons, viens t’asseoir, je veux boire avec toi
Cette nuit la plus noire de l’histoire
Toi et moi ne sommes pas des gens banals
Ne pas figurer parmi les 300 meilleurs poèmes des Tang ne nous gêne pas
Un fonctionnaire de 9e rang, qu’est-ce que c’est ?
Il n’y a pas lieu de s’en occuper
Cette année-là, après avoir beaucoup bu, n’as-tu pas
Vomi des poèmes sur les marches de jade des grandes maisons
Buvons, allons, buvons
La lune ce soir n’ira pas briller pour notre improbable
Rencontre en tant de siècles
Je veux profiter de l’obscurité écrire pour toi un poème hermétique
S’ils ne comprennent pas, eh bien, c’est leur affaire
Qu’ils ne comprennent pas
Qu’après avoir lu nous nous regardions dans un grand rire »
1979
* Li He est un poète né en 791 et mort en 817 à Changgu (préfecture de Yigang, dans le Henan).
Luo Fu
En raison du vent
Traduit du chinois (Taïwan) et préfacé par Alain Leroux
Circé, 2017
http://www.editions-circe.fr/livre-En_raison_du_vent-535-1-1-0-1.html
Luo Fu, né dans le Hunan en 1928, est mort le 19 mars 2018, dans l’île de Taïwan où il avait suivi Tchang Kaï-chek en 1949 et qui était devenue sa seconde patrie.