Jacques Dupin, « Glauque »
DR
« Comme je voyageais très bas
autour des étangs de septembre
je crus la voir elle était là
béate au milieu de l’eau
la Chinoise du Malespir
dans l’attente lancéolée
du songe qu’elle accapare
son œil étirant mes yeux
elle rit de rien et de l’eau
je ne cesse de rajeunir
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trop de feuilles de chimères
de meurtres flottés sur l’eau
elle extasiée qui replonge
dans la plaie au fond de quoi
une écriture agonise
l’opéra-bouffe des grenouilles
qui languit qui se déchirent
par la libellule et le bleu
de ses ciseaux entrouverts
au milieu pour en finir
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il fait sombre j’écris bas
elle est là depuis toujours
les bulles crevant sa peau
dans le glauque du rituel
la coulisse épaisse de l’eau
c’est l’égrènement c’est le frai
l’accouplement le rosaire
sur la pierre lisse et le bord
de l’eau morte écartelée
par l’effervescence de l’air
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ta soif ton regard bridé
et le plaisir sans mélange
d’enfanter ce que je tais
d’aspirer l’ombre de l’autre
plus loin que l’eau divisée
ne coassant plus en dieu
sans l’affilée de ma langue
l’inconnue de l’entre-deux
a plongé dans la démence
du foutre des monstres frais
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le froid de sa cuisse ouverte
à la labilité de l’eau
elle est là depuis toujours
ma complice fantômale
une grenouille à rebours
de son genou dissipant
un tressaillement dans le vert
pour l’image que revêt
l’assidue des premiers ronds
de l’eau ridée de l’enfer »
Jacques Dupin
Chansons troglodytes
Fata Morgana, 1989