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Un nécessaire malentendu - Page 4

  • Qian Zai, « Séjour au jardin »

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    « Un mois sans venir,
    L’ombre de l’orme et du sophora a déjà grandi.
    Sur les murs, de petites plantes poussent,
    À la surface de l’étang, les nénuphars ronds sont apparus.
    Passant tranquille, je déambule sur les chemins,
    Me promenant dans les livres comme au milieu de multiples villes.
    Le vent du sud apporte la pluie,
    Assis, j’écoute le roucoulement de la tourterelle. »

     

    Qian Zai — 1708-1793
    « La dynastie des Qing », traduit par Sandrine Marchand
    in Anthologie de la poésie chinoise
    Gallimard, La Pléiade, 2015

     

     

     

    Zhu Da — 1626-1705

    Fleur de lotus et rocher

    encre sur papier, rouleau vertical : 132,8x41,2 cm

    Musée du Palais, Taipei

  • Louise Glück, « Matines »

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    DR

     

    « Tu veux savoir ce que je fais de mon temps ?
    Je marche dans la pelouse devant la maison, je feins de 
    désherber. Tu devrais savoir 
    que je ne mets jamais à genoux pour désherber, arracher 
    des bottes de trèfles des parterres de fleurs : en fait,
     je cherche le courage, une preuve 
    que ma vie va changer, mais 
    cela prend un temps infini, l’examen de 
    chaque botte pour y trouver la feuille 
    symbolique, et bientôt l’été s’achève, déjà 
    les feuilles virent de couleur, encore et toujours les arbres malades 
    s’en vont les premiers, les mourants deviennent 
    jaune luisant, alors que quelques sinistres freux jouent 
    leur musique de couvre-feu. Tu veux voir mes mains ?
    Aussi vides à présent qu’à la première note.
    Ou le but était-il
    De continuer sans un signe ? »


    Louise Glück
    L’Iris sauvage (1992)
    Traduit de l’anglais (États-Unis) et préfacé par Marie Olivier
    Bilingue
    Gallimard, Du monde entier, 2021

     

    De son jardin, Louise Glück, tire sa poésie, faite de rapport au divin, à l'humain, à la nature. Elle nous dit ce qu'il y a de plus tragique dans ces vies qui sont de brèves floraisons.

  • Jim Harrisson, « Notre anniversaire »

    jim harrisson,notre anniversaire,une heure de jour en moins,brice matthieussent,flammarion,j'ai lu

    DR

     

     

    « Je désire retourner dans cette vieille ferme délabrée

    par un froid matin de novembre pour y manger des

    harengs à l’aube sur la toile cirée de la table, le beurre

    dur effrité en éclats sur le pain de seigle, du beurre

    maison doré. Remplis le panier de bois, Jimmy.

    Crème grumeleuse dans le café, le poêle à bois

    siffle et craque. Dehors c’est la plus forte gelée

    de l’année, mais les talons s’enfoncent jusqu’à la terre.

    Une ferme meurt en hiver, tu as envie d’aller en forêt.

    Dans la grange l’odeur du crottin et du foin encore

    vert envahit tes narines, et celle du lait dans les seaux

    en métal, Grand-papa trait la dernière des sept vaches,

    tire sur leurs pis semblables à des bites,

    un sourire aux lèvres pour le chat de la grange.

    Ma petite amie en aime un autre, à douze ans

    c’est comme si tous les arbres étaient morts.

    Soixante ans plus tard sept colibris à la mangeoire,

    vaches miniatures sirotant du sucre liquide.

    Cinquante années partagées. Les arbres sont toujours là. »

     

    Jim Harrisson

    « Nouveaux poèmes », 2010

    in Une heure de jour en moins

    Poèmes choisis 1965-2010

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent

    Flammarion, 2012, réédition J’ai lu, n°11972, 2021

  • Claude Chambard, « dans le milieu du chemin de la vie », une lettre à Christophe Manon à propos de son « Provisoires », aux éditions Nous, 2022

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    Christophe Manon & Sophie Chambard,

    Provisoires, 6 exemplaires, Collection Le singulier imprévisible, octobre 2018

     

     

    Cher Christophe,

    ah ce livre de ta grande & belle & vraie & pure maturité

    c’est toi, ce livre, c’est nous, longtemps il travaille

    & fermente heure après heure — il lève —

    longtemps, il nourrit, protège

    & nous aime — ses amis

    cette amitié, ah, cet amour, cette grâce — tu l’as —

    les voici données — l’amour est si féminin,

    toujours on peut le conjuguer, l’accorder,

    le recevoir & l’offrir comme ceci —

    il n’y a pas de dernier, ni de premier, il y a le poème

    en pleine page, en plein cœur —

    blanc de soleil si brillant —

    aimer, il le faut, il faut l’aimer

    il faut aimer, poursuivre un matin,

    c’est un matin

    craignons le soir

    c’est le temps — à tous les temps, tu sais —

    fugitif, tu dis : provisoire(s)

    sans impatience, encore vivant(s), provisoire(s),

    sous la pierre,

    nous y parviendrons

    & nous chasserons ce qui dans le vivant fait le mort

    — & l’inverse —

    dans le milieu du chemin de la vie

    ici, au plus plein de nos cœurs —

    enfin vers les beaux yeux je reportai mes yeux

    ce mystère au cœur entre les effacements

    puisque c’est à grande vitesse

    & qu’à peine en fleurs les fruits,

    à la porte si blanche,

    fondent ton poème dans le jardin si frais

    — extrême & lumineux —

    chaque page, chaque vers, chaque mot,

    effet de loupe pour nous dire, au plus près,

    notre histoire / les morts

    cette poignante histoire, oui, qui est la nôtre

    comme tu sais depuis toujours déjà

    & ces soupirs qui s’échappent des livres de nos ancêtres

    qui par notre entremise se portent à l’ombre de nos vergers,

    au cœur de nos jardins — la nuit effaçant la nuit

    qui efface le jour qui est notre ultime demeure

    — une pâture de vent nouvelle

    puisque ton livre est une merveille

    qui s’est détachée de tout pour n’être que toi

    — que de toi —

    pour nous

     

    Ton vieil ami, Claude

     

    Christophe Manon

    Provisoires

    éditions Nous, 2022

    https://www.editions-nous.com/manon_provisoires.html
  • Yu Xuanji, « Adressé à Zi’an, de l’autre coté de la rivière Han »

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    Gai Qi, le Caractère poétique de Yu Xuanji (détail), 1825. Musée de la Cité interdite, Pékin

     

    « Au sud du fleuve, au nord du fleuve, regards tristes ;

    Amour et souvenirs partagés, à quoi bon chanter ?

    Les canards mandarins sur le sable dorment au chaud ;

    Les aigrettes oisives volent dans la forêt d’orangers.

    Dans la brume, chants et musiques à peine audibles ;

    Sur l’embarcadère, clair de lune aux teintes foncées.

    Tout près et pourtant si loin est celui à qui je pense ;

    D’autant que j’entends au loin le linge être frappé. »

     

    Yu Xuanji — 844-868

    in « La dynastie des Tang »

    Traduit par Florence Hu-Sterk

    Anthologie de la poésie chinoise

    Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2015

  • Li Po, « Au milieu des herbes sauvages j’aperçois une boule de pissenlit »

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    Su Liupeng, Portrait de Li Po ivre, 1844, Musée de Shangai

     

    « Ivre je me rends à la ferme

    je marche en chantant dans la campagne sauvage

    est-ce possible, là au milieu des herbes vertes,

    un autre vieillard à tête blanche ?

    Je le cueille et le tiens face à moi, comme devant un miroir clair

    les mêmes tempes blanches

    humble plante, tu sembles rire de moi

    mais déjà le vent d’est disperse notre tristesse »

     

    Li Po (701-762)

    Buvant seul sous la lune

    traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Mounadarren, 1988

     

    un des derniers poèmes de Li Po, pour tous mes amis Claude

  • Deux poèmes pour fêter l’année du Tigre d’Eau

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    Kyōsai Kawanabe, Tigre sur un rocher, 8 janvier 1878.

    Peinture sur papier, 30,5x122,9 cm. Kyōsai Kawanabe Memorial Museum, Warabi

     

    Wen Zhengming

    « Nuit blanche pour accueillir l’an “Xinhai”

     

    Je m’attendris en vain sur l’année achevée cette nuit

    Dans cette salle aux bougies allumées jusqu’à demain.

    Je ne suis pas triste que l’âge m’ôte mes vieux amis

    Mais honteux de me sentir moins avisé que les jeunes.

    Je ris de voir l’almanach d’un an neuf remplacer l’ancien,

    Éveillé, j’écoute sans me réjouir battre les veilles.

    L’encens est éventé, le vin refroidi, les hommes se taisent,

    Soudain le premier chant du coq annonce l’aurore. »

     

    Wen Zhengming, 1470-1559

    traduit par Martine Valette-Hémery

     

     

    Yan Hongdao

    « Ballade du tigre féroce 

     

    Des cafards rongent la paix du pays,

    Leur voracité dévaste jusqu’aux tombes.

    Les scribes sont soumis aux eunuques,

    Ils piquent comme un essaim de guêpes.

    Les gouverneurs n’osent pas rétorquer,

    Les préfets sont rappelés à la docilité,

    Le petit peuple est soumis à la torture,

    La terre desséchée est devenue stérile.

    Tous les postes de garde et les relais

    Sont fournis de biens en abondance.

    Même si tout grain de sable était d’or,

    Les officiels gagneraient bien davantage.

    Les agents des mines sont des bandits,

    Leur âpreté au gain n’a pas de fond.

    S’ils ne récoltent pas ce qu’ils espèrent

    Ils sont comme des sangliers furieux.

    La région des trois He et des deux Zhe

    Est dégraissée partout jusqu’à la moelle.

    Savons-nous si la gale qui nous afflige

    Ne deviendra pas un horrible ulcère ? »

     

    Yuan Hongdao, 1568-1610

    traduit par Martine Valette-Hémery

    in Anthologie de la poésie de la poésie chinoise

    Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2015

     

    Chers amis, ces deux poèmes et cette si belle peinture de Kyôsay Kawanabe, pour nous souhaiter une bonne année du Tigre d’Eau, selon le calendrier chinois.

    Les poèmes ne sont pas gais, ils datent de l’époque très heurtée des Ming. La nôtre n'est pas très réjouissante non plus.
    Je suis triste de voir mes amis mourir et j’aimerais avoir foi en la jeunesse comme Wen Zhengming.

    Ne laissons pas les cafards, les bandits, répandre davantage la gale, évitons l’ulcère. Soyons féroce comme le tigre avec nos ennemis et doux avec nos amis.

  • Sophie & Claude Chambard, le monde parle de cela

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    Sophie Chambard, le monde parle de cela, 2020

     

    Un matin, l’homme qui ne vécut que pour aimer ren­contre la folle d’amour, il lui chuchote : veux-tu partager mon année de printemps, en attendant que le vent se lève & nous porte vers les cinq éléments sur les cinq par­fums, c’est un classique des mutations possibles, il fau­drait graver l’amour dès son apparition sur les pierres de Xiping, que l’on extrait à Luoyang, cinq traités seraient écrits durant la vie, cinq petits traités dont il convien­drait de faire des classiques, des indispensables, nous pourrions, dès lors, de mutation en rites, en poèmes, atteindre le printemps, l’été & l’automne, puis peut-être passer l’hiver sans trop souffrir

     

    pour Sophie, pour aujourd’hui, 30 janvier, & pour après

  • Henri Thomas, « Le Promontoire »

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    Henri Thomas, photogramme du film documentaire de François Barat, 1990 

     

    « Il aimait les histoires drôles, lisait des romans, menait une existence un peu étrange, ­— je crois qu’il était de ces hommes qui aiment la conversation et s’y sentent revivre, parce qu’elle les distrait d’eux-mêmes, les jetant dans l’imprévu de tout ce qui n’est pas eux, où ils redeviennent des hommes amusés de vivre, libres comme si rien n’était de leur préoccupation profonde. De celle-ci, ils ne diront rien ; peut-être l’oublient-ils vraiment en riant ; elle est leur vérité, et qui peut les en détourner, sinon la joie de l’imaginaire, le plaisir d’être dans un monde où chacun vit comme s’il racontait avec ou sans paroles une histoire passionnante et drôle : son existence. […] Mais la vérité d’une conversation ne vient pas de l’exactitude des anecdotes racontées ; elle est dans le mouvement, dans l’invention, dans l’amusement d’une parole qui peut faire apparaître bien des choses et même les plus vraies, détachées de la vie personnelle et projetées dans une réalité ouverte. Aussi, lorsque le pharmacien d’Anvers disait, le regard tourné vers les rochers du bout de la plage : “Il y a là-bas des bains de Diane…”, je crois qu’il livrait au hasard de la parole, en présence d’inconnus (car jusqu’alors nous ne l’avions vu qu’une fois, dans la cuisine de l’hôtel), une pensée, un souvenir, un désir, dominant — un de ces secrets qui profitent d’un instant de langage ouvert pour surgir dans une sorte de lointain, d’où ils reviendront sur celui qui a parlé. »

     

    Henri Thomas

    Le Promontoire  (Prix Fémina, 1961)

    Gallimard, 1961, réédition L’Imaginaire n° 181, 1987

     

    Le livre d’un envoûtement. D’un vertige. Jusqu’au bout. Et l’écriture, l’amour, l’enfance, l’abandon. Un grand livre. Il faut lire Henri Thomas, ne pas l’oublier.

     

  • Marc Guyon, « Volis agonal »

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    Bourgogne 2019 © cchambard

     

     

    « Au bord de la forêt la hardiesse devient tendre.

    Des mers roses et fortes depuis la nue

    quand l’herbe est un crin rare et parfumé

    la coupole cachée mais le dessus clair,

    des nuées si légères

    avec le vent.

    Près des champs

    dans le repos s’établit le village.

    Cela parle, à l’orée

    de la ferme abandonnée.

    Le roux et le vert

    se constituent. À travers les plis

    des navires passent avant l’orage

    selon les destinées.

     

     

    Paysages de parfums, voiles auréolées de mer, semées, rond d’un pelage, sur la prairie fière. Étais-je animal si doux ?

    Le vent lance les cœurs. La semaine porte de feuille en feuille. Mais nous rêvions telle autre joie !

    Prés du front rose de l’été. Beauté nous fut jouet, nous voguions par le destin.

    À l’ombre calme sous le vent, puis dressés, légers. L’étendue d’une seule terre. »

     

    Mac Guyon

    Volis agonal

    Gallimard, 1972

     

    J’ai commencé à lire Marc Guyon dès ce premier livre jusqu’au dernier, le Voyage transparent en 1994. Huit minces livres, poésie, récit – je fus sidéré par le Principe de solitude, bref récit, sous forme de journal, d’un enfermé psychiatrique et par la haine de soi qu'y développait son narrateur – j’avais 28 ans et je commençais à fréquenter les vaniteux & ridicules qui m’ont fait souvent me détester moi-même. Le magnifique Ce qui chante dans le chant, fut de ceux qui me permirent d’oser parfois le poème ; on a de ces illusions n’est-ce pas… Et puis, Marc Guyon, coursier chez Gallimard, son éditeur, s'arrêta là, disparu du mundillo. Il vit quelque part dans le Jura — ou serait-ce dans la grande banlieue de Paris — aux dernières et imprécises nouvelles. C’est mince. Ses livres demeurent dans la bibliothèque et nous ferons passer d’une année l’autre.
    Bonnes fêtes, chers lecteurs solitaires.

  • Pierre de Ronsard, poème CXXXI des Amours de Cassandre

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    Tombe de Pierre de Ronsard au Prieuré de saint Cosme ©cchambard, 2016

     

     

    « Voici le bois, que ma sainte Angelette

    Sur le printemps anime de son chant.

    Voici les fleurs que son pied va marchant,

    Lors que pensive elle s’ébat seulette.

    Io voici la prée verdelette,

    Qui prend vigueur de sa main la touchant,

    Quand pas à pas pillarde va cherchant

    Le bel émail de l’herbe nouvelette.

    Ici chanter, là pleurer je la vis,

    Ici sourire, et là je fus ravi

    De ses beaux yeux par lesquels je dévie :

    Ici s’asseoir, là je la vis danser :

    Sur le métier d’un si vague penser

    Amour ourdit les trames de ma vie. »

     

    Pierre de Ronsard

    Les Amours, 1555 – 1578

     

    Pierre de Ronsard, né en septembre 1524 au château de la Possonnière (Couture-sur-Loir)

    est mort le 27 décembre 1585 au Prieuré de Saint-Cosme (La Riche)

  • Une vie de Maurice Romain C.

    maurice lucien chambard

    La fleur rouge, la fleur orangée, fleurs de saison dans le vase bleu entre les oreilles d’ours, près de l’envol des papillons dès que la chaleur est suffisante, tu sais, autour de la table bourguigno-marocaine, imaginée par l’homme à la casquette qui, chaque matin, allumait la forge comme il se rasait, sans vraiment y penser, deux guerres, la marine, les Dardanelles, le gaz moutarde, le rugby à XIII & le croquet, le football & l’opérette à la TSF, il pêchait le long du canal de Bourgogne, de l’Armençon, de l’Ignon & de la Tille, comme il n’aimait pas mentir, il s’efforçait de ne pas voir ce qui le peinait, ça prenait du temps car c’est pire que nettoyer les écuries d’Augias

     

    une vie de Maurice Romain C.

    24 février 1890 — 22 décembre 1971

     

    Claude Chambard, pour Grandpère, depuis 50 années

    inédit, extrait de Un matin, en cours