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Un nécessaire malentendu - Page 86

  • Jacqueline Cahen

    images.jpgSon compagnon, Jean-Pierre, vient de m'apprendre  le décès de notre amie Jacqueline Cahen. C'est une terrible nouvelle et chacun qui la connaissait ne peut qu'être effondré.

    Poète, et traductrice, Jacqueline Cahen vivait à Paris et à Belle-Île-en-Mer où ses cendres sertont dispersées après une cérémonie qui accompagnera la crémation au cimetière du Père-Lachaise à Paris, le 4 février à 14 h.

    Créatrice en 1979 avec Jean-Jacques Lebel de Polyphonix, collectif d’artistes, elle organisait des festivals de poésie-musique-vidéo-performances dans le monde entier. Elle a travaillé et fait de nombreuses performances en France et en Europe, seule et avec des musiciens.

     

    Mer haute                       Marée descendante

     

    Un autre jour est né

    de la dispersion des ordres élémentaires

    Après disparition des remous

    d'eaux grises

    opaques et salées

    un ciel immobile s'est installée

    couvrant des corps bien au-delà de notre vision

    Du point unique où je me tiens

    les angles sont nuls

    et je sais que les vagues n'atteindront plus mes pieds

    D'une lunaison l'autre

    l'oubli passe    Un frisson

    notez-en le pourquoi

    (L'écume de mer est un bois dit-on

    mais il me semble que l'on ment)

    Le ressac vide le sable d'eau

    Du bruit toujours     Pas

    d'oiseaux

     

    Et l'émotion naît d'on ne sait où

     

    in L'immédiat labile, Polyphonix/Nèpe, 2007

     

    Elle a avait publié :


    L’immédiat labile, poèmes accompagnés de dessins de Jean-Jacques Lebel, éd. Polyphonix/Nepe, mars 2007

    Scènes de crime, éd. ADN, Suisse, 2005

    Polyphonix 25 ans, collectif, Flammarion/Léo Scheer, 2004

    Les blasons du corps féminin, collectif, Spectres familiers, 1993

    Les maux par les mots, avec Marie-Rose Lefèvre, Mercure de France, 1989

    Impressions graphiques avec illusion d’optique – Livre-objet avec Sophie Boursat




     

  • Dans ma maison sous terre

    images-1.jpgChloé Delaume
    Dans ma maison sous terre
    14x20,5 ; 216 p. ; 17 €
    isbn : 978.2.02.098302.0
    Éditions du Seuil, coll. Fiction & Cie, dirigée par Bernard Comment.

    B5, il y a la mère et le grand-père par-dessus.
    Autour de cette tombe, Chloé Delaume bâtit un livre dur et net. Loin des emballements de langue des débuts avec ses deux grandes réussites – les Mouflettes d’Atropos et le Cri du sablier, tous deux initialement aux regrettées éditions Farrago et repris aujourd'hui en Folio –, elle a creusé jusqu’à l’os, jusqu’à la mâchoire, et la langue est à vif, juste, juste avant, juste après, juste maintenant, au présent de la narration.
    Un projet : écrire un livre qui tuera Mamie Suzanne, la langue doit bien y parvenir, puisque « je n’ai que l’écriture comme moyen de résistance ».
    Elle arpente les allées du cimetière avec Théophile, tout à la fois, compagnon discret, fantôme bienveillant, psychanalyste  – quand on est psychotique on ne fait pas d’analyse, on prend de l’Abilify par exemple –, psychanalysé, transfert, écrivain raté… une bonne béquille pour faire avancer le livre, pour soutenir et relancer la narratrice, sur l’air de  Scandale dans la famille, l’épouvantable scie chantée par Sacha Distel qui dit le secret qui doit rendre contente : « ton père n’est pas ton père ».
    Oui, ici de tombe en tombe, de fantôme en fantôme, de cousine en oncles incertains, Chloé Delaume, construit un roman de la maturité – plein d’humour –, simple, dur car douloureux, une fiction familiale et musicale – on visitera très à propos le site de l’auteur : http://www.chloedelaume.net/ –, où la voix des morts, participe du récit pour interroger notre rapport à la mort et à la littérature.
    « J’ai construit mon histoire sur un terrain si vague que sans fouille les fossiles affluent pour me blesser. » Treize tentatives de suicide plus tard, voici Dans ma maisons sous terre, comme un nouveau dialogue possible avec Chloé Delaume.

    Photo © www.tierslivre.net/

  • Hammurabi Hammurabi

    BOYER_200.jpgHammurabi fut le sixième roi de Babylone. Il régna de 1792 à 1750 avant Jésus-Christ. Il promulga le Code, qui porte son nom, rédigé en akkadien, gravé sur des stèles, érigées sur les places publiques. L’une d’entre elles, découverte en 1901 à Suse, en Iran, se trouve au Musée du Louvre.
    Frédéric Boyer les a vu, les a lu, a écrit, puis a lu des versions du texte qui paraît aujourd’hui chez P.O.L devant cette stèle en 2007 et 2008.
    Si Frédéric Boyer joue avec le temps et les voix, les tons, il est soldat d’Hammurabi, GI, Hammurabi lui-même… Frédéric Boyer en auteur de ses propres stèles ici déchiffrées patiemment… c’est afin de montrer ce qui, à travers le temps, est identique, procède du même, mais aussi ce qui manque à chacun des temps pour emplir le silence d’entre les lignes.
    Le monde a-t-il tellement changé ? Non, certainement pas. Non, il procède toujours du chant, de la litanie, du psaume, de la loi, de la langue qui multiple est unique. C’est pourquoi ici les voix se mêlent en une seule – « Si nous vivons dans la mémoire et dans la mémoire de nos cœurs, et dans la mémoire de nos regards, et si nous vivons dans la mémoire de nos corps comme dans la prison du crâne d’autrui. » – qui, le temps d’une récitation, d’une transe, dit l’hier, l’aujourd’hui et sans doute l’avenir.
    Un vrai livre pour commencer l’année, Hammurabi, Hammurabi, si nous te lisons.


    Claude Chambard


    Frédéric Boyer
    Hammurabi Hammurabi
    11x16 ; 64 p. ; 10 € ; isbn : 978.2.84682.293.0

    PS : paraît du même auteur, chez le même éditeur, dans la même livraison, Orphée, nous y reviendrons

  • Une année qui commence

    Bourg_Lionel.jpgIl neige.
    Cela serait encore merveille si, le nez au carreau, regardant voleter puis tomber lentement les flocons, chacun acceptait un instant de ressembler à l'enfant qu'il fut, lequel survit à l'état de chagrin, de douleur parfois :
    J'sais pas ce que j'ai...
    sous les traits d'une femme ou d'un homme que ce même gamin, cette même fillette ne reconnaît plus.
    Les nuits sont bleues. Laiteuses.
    Quelques étoiles s'y noient, qui les déchirent juste avant l'aube, l'éclat soudain tranchant de leur lumière occultant à cette heure presque matinale celle des sapins décorés de guirlandes électriques, fausses bougies et boules multicolores que les commerçants installèrent en décembre aux portes de certains magasins.
    La ville s'éveille.
    Des cheveux d'ange traînent sur la chaussée.
    Les premiers passants les piétinent tout en se demandant pourquoi tant de pères Noël escaladèrent cette année les façades ventrues des immeubles, s'installant bien avant les fêtes aux balcons ou sur le rebord des fenêtres, béats, un peu moqueurs peut-être. Des gens s'apostrophent au moment de prendre place au fond d'un autobus. D'autres :
    J't'attends, bordel !
    se contentent des phrases que l'on profère d'un ton brusque maintenant que personne n'échappe à la téléphonie mobile.
    Je marche.
    Me promène au gré de mes déjà vieilles habitudes.
    Traverse l'artère principale, où les tramways font la navette entre les deux quartiers extrêmes qui, l'église, le square ou la poste, les bistrots ainsi qu'une boulangerie sentant bon le pain chaud n'y étaient pas pour rien, eurent des années durant des allures de village.
    Neuf heures...
    Je croise des personnes âgées – guère plus que toi, Lionel, guère plus que toi... –, des filles rieuses et des mômes, de jeunes adolescents, pardon, qui se moquent de ma trop longue écharpe, ma tête des mauvais jours, ma casquette.
    J'ai froid.
    Lis machinalement les titres des journaux exposés à la devanture d'une maison de la presse.
    À quoi bon ?
    À quoi bon répéter ce que tout le monde entend à la radio ? Ce qui vomit ou bave le soir sur les écrans des téléviseurs ?
    Une année s'achève. La suivante commence.
    Des types crèvent dans la rue.
    Ailleurs, mais c'est loin, des enfants meurent sous les bombes : les fleurs d'hiver que l'on cueille à Gaza s'éteignent une à une dans des bouquets de sang.


    Lionel Bourg

    avec son amicale autorisation

     

    Reçu en ce début d'année ce texte de Lionel Bourg, si beau et si terriblement juste,que je ne puis résister au plaisir de le partager.

  • Dans la maison vide

     

    Dans la maison vide
    de 12h à 20h deux jours exceptionnels d'exposition…

     

    carton d'invitation.jpg

    samedi 10 janvier 2009 12h-20h

    dimanche 11 janvier 2009 12-20h

    Chez Maya Anderson et Alexandre Delay à Bouliac

    Sur une invitation de Maya Anderson & Alexandre Delay, une proposition de Jean-François Dumont :
    travaux de Maya Anderson, Alexandre Delay, Philippe Fageaux, Richard Fauguet, Jean-François Gavoty, Michel Herreria, Emmanuel Hocquard, Anne-Marie Pécheur, Guillaume Poulain, Pierre-Lin Renié, Marjorie Thébault, Juliette Valéry

  • Excellent an 9

    « Les étrennes étaient aussi appelées dons de l’Avent. Avent n’est pas un mot descriptif mais énergique. Adventus est actif : qui fait arriver, qui pousse l’année, qui fait advenir les pousses. »

    Pascal Quignard
    Sordidissimes
    Grasset & Fasquelle, 2005


    Excellente année neuve
    Bon an neuf 2009
    Le meilleur toujours
    Joie, désir, plaisir & lectures excitantes
    & l’amitié encore & encore

  • ¡Va por ti, torero ! Luis Francisco Esplá

    Luis Francisco Esplá arrête les toros. C'est un torero selon mon cœur, complet et artiste dans la folie de la tradition la plus pure, avec des hauts et des bas, des toros durs en général, ce n'est pas si courant. Il a beaucoup donné à la corne. Artiste il l'est oui, Luis Francisco, avec sa voix presque de haute-contre, son humour décalé, ses poèmes et sa peinture et des gestes dans l'arène qui tirent le torero vers l'absolu de la tauromachie,  et cette démarche bizarre, à très petits pas... Il arrête les toros, Luis Francisco Esplá… on continuera à penser à lui souvent sans aucun doute.

    Voici la jolie note qu'Olivier Deck, qui aurait pu être torero, lui consacre sur son site. Elle dit mieux que je ne saurais le faire  l'essentiel de ce que le matador m'a donné. Une manière aussi de découvrir le site de l'ami Deck, écrivain, chanteur, peintre...

     

    Espla.jpg5 Décembre 2008
    Pour Esplá

    Allons-y, une impro pour Esplá, si tu veux. Esplá l’anachronique d’avant-garde. Avant-garde, oui, toujours au feu, devant, sourire de tueur, d’enfant terrible aux lèvres. Esplá l’artiste qui s’est dessiné un visage de torero en trempant le bout d’une corne dans le sang. Nous connaissons ses cicatrices. Celles du miroir, comme on dit au-delà du Plateau d’Anèu. Esplá s’en va. Il l’avait dit à la sortie de las Ventas, lors de la dernière San Isidro. En montant dans son minibus, il l’avait dit : je ne reviendrai pas à Madrid. Il y reviendra. Finir à Madrid. Passer encore par le grand amphithéâtre où survivent les valeurs moribondes d’un art d’être artiste que l’esprit starac, paillettes, inculture et fil blanc balaye inexorablement. Le monde ne nous appartient pas. Il est un sable qui file entre nos doigts. Nous naissons nostalgiques. Nostalgiques de ce que nous pensons avoir perdu mais qui n’a jamais existé. Nostalgique d’un autre nous qui n’a jamais eu lieu. Comme si nous retournant vers le passé, nous voyions un futur hypothétique. Un futur impossible. Esplá est torero comme il est peintre. Il préfigurait depuis ses débuts le matador actuel, Morante en tête, qui ne se dit plus simplement « torero », mais « créateur ». Le torero à qui l’on scande « torero » ne se considère plus lui-même comme tel, il se dit « créateur ». Esplá l’avait pressenti. Peintre, écrivain, il ressemble aux artistes d’aujourd’hui, les éclectiques, les inclassables, les transgressifs. Ceux que Descartes n’aurait pu classer. Luís-Francisco Esplá. Le bon, la brute et le truand en un seul homme d’arène. Quand les grands de ce petit monde des toros se défilent devant les élevages dont les toros risqueraient de montrer leur bravoure, Esplá accepte de toréer version pliocène inférieur, à Céret. Il se fait arracher les couilles. L’année d’après, recousu, il revient. D’où vient son sourire ? Est-ce une cicatrice qui lui a figé le visage dans une grimace frondeuse, sarcastique ? Esplá, souviens-toi de lui en 1982, lorsqu’il noue sa cravate à la corne d’un Victorino de légende. Esplá s’en va sans avoir cédé. Toujours vêtu de costumes brodés à l’ancienne, qui disent aux gosses : « Regarde, regarde d’où nous venons, nous, les toreros. Nous sommes les enfants des siècles. Ne l’oublie pas ! » Et les gosses l’oublient parce que les gosses sont des gosses. Ils veulent les millions, les Porsches, les pin-up, les palaces, chasser à la droite du roi, mais y laisser leurs couilles, ça, faut voir. Ceux d’aujourd’hui voudraient bien accéder à la gloire sans passer par la case « Toro » . Or Toro + Héro = Torero. Esplá est un héros de légende, un roublard, un brigand qui ne fait pas dans la dentelle, qui agace par son agilité, Scapin de l’arène. Il s’en va. Tel un guerrier qui se retire, le corps perclus. L’âme tumultueuse des combats. Avant cela, il adoubera son fils. Il le prendra dans ses bras aux abords d’une piste de sable. Il l’enlacera de ses kilomètres de sutures et il lui dira : « Tiens, tiens mon épée. C’est à toi maintenant. Adieu. » Adieu. Adieu parce qu’Esplá Luís-Francisco reviendra alors parmi les hommes. Parmi nous. Il restera ce « maestro » avec lequel nous nous adresserons à lui. Et cette gueule tailladée qui nous rappellera que l’afición, c’est plus compliqué que de se dire aficionado, de se réjouir devant de luxueuses farces taurines et de pérorer au comptoir ou dans les beaux salons des hôtels cinq étoiles, loin des cornes. C’est une affaire de vie et de mort. Une affaire d’amour.

    ¡Va por ti, torero !Esplá.jpg

     

    http://www.olivier-deck.fr/accueil.php

  • D'ici là, numéro 1

    D'ici là, 1.jpgPierre Ménard lance la revue – de détails – «D’ici là», sur Internet, téléchargeable sur Publie.net, la plate-forme de textes numériques contemporains créée par François Bon en janvier 2008.
    Sur le thème « Nous dormons notre vie d’un sommeil sans rêves » – Georges Perec, L’Infra-ordinaire – voici 91 pages à lire sur écran avec toute l’interactivité possible, images, textes et sons s’entrecroisant pour créer une dynamique qui pourra n’être jamais la même selon ses lectures, ses relectures. On pourra, bien entendu, télécharger le tout en pdf et l’imprimer chez soi ce qui donnera à la revue un air papier plus traditionnel mais avec une richesse graphique rare qui usera des cartouches d’encre à n’en plus finir. Une telle revue sur papier imprimé, coûterait une fortune, serait peu réalisable, et intenable financièrement. C’est l’intérêt et la force d’Internet pour une telle entreprise et Pierre Ménard a su en tirer profit avec bonheur.
    On trouvera, entre autres, dans cette excitante première livraison : François Matton, Rémi Froger, Deborah Heissler, Philippe de Jonckeere, Anne Savelli, Michel Brosseau, Caroline Diaz, David Lespiau…
    Les prochains numéros sont annoncés pour le printemps, l’été et l’automne 2007. On en salive d’avance.

    Les 25 premières pages sont à feuilleter librement.
    Téléchargement version intégrale du n°1 : 5,50 €
    http://www.publie.net/tnc/spip.php?article184

  • Un arbre

    un-arbre.jpg
    parce que j'aime tellement le travail de François Matton,
    je le partage et vous invite ici

  • Le crayon de Bernard Delvaille

    Bernard Delvaille002.jpgBernard Delvaille aime les magnolias du Jardin public. Il va souvent s’asseoir à leurs côtés pour écrire. Il est jeune et envisage sérieusement, violemment même, de quitter Bordeaux.

    À deux pas du Jardin public il va au lycée  – aujourd’hui Montesquieu – où il a pour ami Michel Suffran avec qui il parle de ses lectures : Valery Larbaud, Coleridge, Mallarmé, Paul Valéry, Rimbaud, Marcelline Desbordes-Valmore…

    Il écrit ses premiers poèmes dans de longs carnets étroits – du modèle de ceux utilisés par Marcel Proust – avec un vieux reste de crayon car il est économe. Il a troqué le crayon neuf à la librairie de son amie Nicole Petiteau contre des timbres. Il porte des guêtres blanches par-dessus ses chaussures noires toujours parfaitement cirées et, lorsque le soleil tape particulièrement, une façon de vieux chapeau qui a du être un Panama lui ombrage le front.


    Il habite à deux pas du Parc Lucie, à Caudéran. Il rêve de Londres et de Venise où il mourra.

     

    Un reste de crayon (extrait d'un travail en cours)

     

    Photo : Jean-Luc Chapin, in Portraits d’auteurs, préface de Claude Chambard, Centre régional des lettres d'Aquitaine, 1990

  • Les Papillons ne meurent jamais

    49b.jpg

     

    Les Papillons ne meurent jamais

    Sophie & Claude Chambard

    L'Affiche n° 49

    Une affiche en sérigraphie sur papier 140 g,

    au format 120X176 cm, 40 €

    à commander à : http://editionlebleuduciel.free.fr/commande.html

  • État de droite par Anne-Marie Garat

    images-1.jpgEn 1933, depuis près de trois ans, le Reichstag avalise sans broncher ; les décisions se prennent sans débats ni votes. Von Hindenburg gouverne un coude sur l’épaule des SPD, tétanisés, un coude sur celle des nazis, bons bougres. Hitler n’a plus qu’à sauter sur l’estrade, grand clown des atrocités, impayable dans son frac tout neuf.
    Qui prétend encore que c’est arrivé du frais matin ?
    Le sommeil a bon dos, où naissent les songes, et les cauchemars. Mais on ne se réveille pas dans le pire, stupeur, au saut du lit : le pire s’est installé, insidieux, dans le paysage, banalisé par l'apathie ou l’incrédulité des uns, la bénédiction des autres.
    Des gendarmes brutaux, grossiers, débarquent impunément avec leurs chiens dans les classes d’un collège du Gers, pour une fouille musclée; le proviseur entérine, bonasse. Et le ministre de l’Education, qu’en dit-il ? Que dit-il de l’enlèvement d’enfants dans une école de Grenoble, d’eux et de leur famille expulsés en vingt-quatre heures, après combien d’autres ? Qui tient la comptabilité de ces exactions ordinaires ?
    Un journaliste est interpellé chez lui, insulté, menotté, fouillé au corps, pour une suspicion de diffamation, qui reste encore à démontrer en justice… Qu’en dit la Garde des Sceaux ? Elle approuve (mutine bague Cartier au doigt, n’en déplaise au Figaro).
    Nos enfants, nos journalistes, ce sont encore catégories sensibles à l’opinion.
    Celle-ci s’émeut-elle ? Mollement. Elle somnole.
    Mais les réfugiés de Sangatte, chassés comme bêtes, affamés dans les bois ; les miséreux du bois de Vincennes menacés de «ratissage», les gueux de nos trottoirs au vent d’hiver ? Les sans papiers raflés, entassés dans des lieux de non droit, décharges d’une société, qui détourne le regard ignoble de son indifférence ? Et la masse des anonymes, traités mêmement comme rebut par une administration servile ? Au secours, Hugo!
    Il y a de jeunes marginaux qualifiés par la ministre de l’Intérieur d’« ultra gauche » - spectre opportun des bonnes vieilles terreurs - jusqu’ici, pure pétition communicationnelle… Sa police veille, arme à la hanche, elle arpente, virile, les couloirs du métro, des gares. Sommes-nous en Etat de siège ? A quand l’armée en ville ?
    Il y a le malade mental incriminé à vie par anticipation ; l’étranger criminalisé de l’être ; le jeune de banlieue stigmatisé pour dissidence du salut au drapeau : danger public; le prisonnier encagé dans des taudis surpeuplés – à 12 ans, bientôt ; le sans travail accusé d’être un profiteur, le pauvre d’être pauvre et de coûter cher aux riches ; le militant associatif qui le défend condamné, lourdement, pour entrave à la voie publique. Il y a le fonctionnaire taxé de fainéantise (vieille antienne) ; l’élu réduit au godillot ; le juge sous menace de rétorsion ; le parlementariste assimilé au petit pois ; la télé publique bradée aux bons amis du Président, qui fixent le tarif ; son PDG berlusconisé et des pubs d’Etat pour nous informer – à quand un ministre de la Propagande ? On en a bien un de l’Identité nationale. Et le bon ami de Corse, l’escroc notoire, amuseurs sinistres, protégés par décret du prince…
    Criminalisation systématique de qui s’insurge, dénis de justice, inhumanité érigés en principe de gouvernement. Presse paillasson, muselée par ses patrons, industriels des armes. Intimidations, contrôles au faciès, humiliations, brutalités, violences et leurs dérapages - quelques précipités du balcon, quelques morts de tabassage accidentel -, sitôt providentiellement dilués dans le brouhaha des crises bancaires, de l’affairisme et du sensationnel saignant, bienvenu au JT : touristes égarés, intempéries, embouteillages du soir… Carla et Tapie en vedettes.
    Ces faits sont-ils vraiment divers, ou bien signent-ils un état de fait? En réalité, un état de droite. Extrême. Dire que Le Pen nous faisait peur…
    Cela rampe, s’insinue et s’impose, cela s’installe : ma foi, jour après jour, cela devient tout naturel. Normal : c’est, d’ores et déjà, le lot quotidien d’une France défigurée, demain matin effarée de sa nudité, livrée aux menées d’une dictature qui ne dit pas son nom. Ah ! le gros mot ! N’exagérons pas, s’offusquent les mal réveillés. Tout va bien : M. Hortefeux est, paraît-il, bon bougre dans sa vie privée.
    « Tout est possible », avait pourtant promis le candidat. Entendons-le bien. Entendons ce qu’il y a de totalitaire dans cette promesse cynique qui, d’avance, annonce le pire.
    Sous son agitation pathologique, un instant comique – au secours, Chaplin ! - , sous ses discours de tréteaux, ses déclarations à tous vents, contradictoires, paradoxales, sous son improvisation politique (oripeau du pragmatisme), sous sa face de tic et toc s’avance le mufle des suicideurs de république, des assassins de la morale publique. La tête grossit, elle fixe et sidère.
    Continuerons-nous à dormir ? Ou à piquer la marionnette de banderilles de Noël ?

    Anne-Marie Garat

    http://www.anne-marie-garat.com/