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Un nécessaire malentendu - Page 37

  • Jean-Louis Baudry, « Les Corps vulnérables »

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    « Le désir d’écrire a quelque chose en lui qui le rend tenace et instable et paradoxal : il ambitionne de donner un peu de consistance au moi de l’écrivain, alors que celui-ci fait d’abord, en se confrontant au langage, l’expérience de l’altérité qui le constitue. Mais il implique de plus une contradiction peu différente de celle qui travaille le désir sexuel. Il préexiste à l’objet sur lequel il se portera. Il ignore tout de lui. On veut écrire avant de savoir ce qu’on écrira. Celui qui écrit aimerait s’éprendre de l’objet qu’il découvre en écrivant mais, à moins que le narcissisme ne l’aveugle, ce qu’il écrit à toutes les chances de lui apparaître contingent et mineur au regard de ces choses essentielles qu’il ne se sent pas en mesure d’aborder. C’est ce qui rend le souci d’écrire si fragile devant l’amour qui, lui, se définit justement par l’unité enfin trouvée d’un désir et d’un objet. »

     

    Jean-Louis Baudry

    Les Corps vulnérables

    L’Atelier contemporain, 2017

    http://www.editionslateliercontemporain.net/mot/jean-louis-baudry

  • Pascal Quignard, « Une Journée de Bonheur »

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    © : Frédéric Desmesure/Ritournelles

     

    « Ce n’est pas une image : cette vieille plume d’oie ou d’oiseau tenue très fort, serrée entre le pouce, l’index et le majeur dont les phalanges blanchissent, réinstaure, le plus qu’il est possible, le holding indicible jadis vécu dans l’ombre, quand on pinçait, avec les mêmes trois doigts, le cordon nourricier, pour accélérer l’écoulement du suc, pour le rouler sous les doigts comme un fuseau, pour s’agripper à lui comme à une corde ou une tige.

    Tenir c’est joindre.

    Tenir c’est adhérer et adhérer c’est déjà étreindre.

    Écrire c’est agripper ces trois doigts sur le fil imaginaire – sur la ligne qui s’invente à l’horizon du réel sans y être, au bout de la lumière du jour.

    S’accrocher.

    Tenir le coup.

    Survivre. »

     

    Pascal Quignard

    Une Journée de Bonheur

    Arléa, 2017

     

    Recopier la page, pour souhaiter un bel anniversaire à Pascal Quignard – né le 23 avril 1948.

  • Frédéric Boyer, « Peut-être pas immortelle »

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    © : P.O.L

     

    « Quelqu’un l’aurait-il vue cette vie qui à jamais ne fut et qui serait pourtant ? À l’époque où la terre s’embrasa quand nous étions les plus solitaires des vivants.

    Et le froid est venu tout à l’intérieur de moi, comme un signe d’impatience messianique quand nous aurions voulu donner à l’autre plus que nous n’avions.

    J’espère malgré tout que nous pourrons avoir de temps en temps des nouvelles l’un de l’autre. Mais ce n’est pas certain, tu t’en doutes, n’est-ce pas ? Par un retournement étrange, souvent, la pensée de la séparation n’éveille en nous que davantage d’attachements. Un bref instant dans lequel disparaissent tous les autres possibles mondes.

    Et tu pleurais doucement

    ces choses que tu appelais de tes vœux en riant. »

     

    Frédéric Boyer

    Peut-être pas immortelle

    P.O.L, 2018

  • Thomas Bernhard, « Corrections »

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    DR

     

    « Alors que nous avons en vue notre travail et ce qu’il y a de dangereux et de fragile dans notre travail, nous utilisons la majeure partie de notre temps uniquement pour d’une manière générale pouvoir jeter un pont pour traverser le temps le plus proche, toujours le temps le plus proche de nous et nous pensons que, d’une manière générale, nous avons seulement besoin de penser à jeter un pont pour traverser le temps et non pas de penser au travail, à plus forte raison à un travail compliqué, requérant toute notre existence. Peu importe comment, seulement jeter un pont pour traverser, pensons-nous, sentons-nous instinctivement. Cela déjà étant enfant. Comment avancer, c’est que nous pensons sans interruption, et la plupart du temps, il est complètement indifférent de savoir comment nous avançons pourvu que nous avancions. Parce que c’est seulement sur le fait d’avancer et sans rien effectuer au-delà de cet objectif, ainsi s’exprime Roithamer, que nous devons concentrer nos énergies physiques et intellectuelles disponibles. Le travail, un auxiliaire pour nous faire traverser le temps intermédiaire, peu importe quel travail, quelle occupation, bêcher dans le jardin ou pousser au premier plan un objet de réflexion philosophique, c’est la même chose. Ensuite nous sommes possédés par une idée et nous n’avons au fond que la force de survivre, c’est pourquoi nous sommes dans un état plein de tourments extrêmes. Nous ne sommes engagés à rien, ainsi écrit Roithamer, rien souligné. Comme on nous a mis dans nos têtes d’enfants que nous n’aurons un droit à la vie que si nous travaillons raisonnablement, comme on nous assuré que nous devons accomplir notre devoir ! »

     

    Thomas Bernhard

    Corrections (1975)

    Traduit de l’allemand par Albert Kohn

    Gallimard / Du monde entier, 1978, rééd. Gallimard / L’imaginaire, 2005

     

    Cet extrait, pour souhaiter un excellent anniversaire à Emmanuel Hocquard, né le 11 avril 1940,

    qui vient de publier chez P.O.L, Le cours de Pise
    http://www.unnecessairemalentendu.com/archive/2018/03/15/emmanuel-hocquard-le-cours-de-pise-6034575.html

  • Elizabeth Willis, « Fleurs météoriques »

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    DR

     

    « LE GRAND ŒUF DE LA NUIT

     

    L’enfance nous montre sa lune grâce aux nuages brumeux, un courant d’air ascendant presque lavé de toute intention. Manipulée et monnayée dans l’ombre subalterne, je ne pouvais pas me débarrasser du souvenir d’un train qui striait les collines de blanc. La colonne en reddition déverse ses uniformes. Des épiphanies gantées de vélin nous dépassent à vive allure dans leur grosse cylindrée. Dans les mots des jonquilles, suis-je avec mon foulard plus jolie que la cendre projetée par la roue ? Quelle forme prennent les femmes ? Ou elle est-il pris comme chemin menant à une métaphore verglacée, une graine plus facile à écraser qu’à ouvrir ? Un mot peut-il être renversé par jeu, ou faut-il une étincelle perdue pour embraser ton arsenal de dentelle ? Le bleu le plus sombre est noir, au bord de la perception. Je donne à la fraîcheur le signal du départ, une chance de gagner, j’orchestre notre descente vers des destinations décentes, je pilote jusqu’à la maison. »

     

    Elizabeth Willis

    Fleurs météoriques

    Traduction collective de l’américain au CIPM, relue par Emmanuel Hocquard & Juliette Valéry

    CIPM / Un bureau sur l’Atlantique, 2009

    http://cipmarseille.fr/publication_fiche.php?id=e36821f7efa9bb06d8ee52680142ad90

    http://cipmarseille.fr/pop_audio.php?id=200

  • Fan Chengda , « Chantant mes pensées en riant de moi-même »

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    « Des glaçons glissent de l’auvent, le printemps est encore gelé ;

    Mes portes même tard restent fermées.

    Je vis retiré et oisif, surpris quand vient un visiteur,

    Vieillissant, paresseux, je crains que viennent des missives.

    Jour après jour, j’ordonne d’arroser les bambous

    Et chaque matin, je prends des nouvelles des pruniers.

    Le jardinier certainement rit de moi en secret,

    Qui prétend que mon cœur n’est plus que cendres. »

     

    Fan Chengda — 1126-1193

    « La dynastie des Song du Sud »

    Traduit, présenté et annoté par Stéphane Feuillas

    In Anthologie de la poésie chinoise

    La Pléiade, Gallimard, 2015

  • Ludovic Degroote, « La Digue »

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    « Emboîtant le pas, toujours en train de se quitter, écrivant ailleurs, d’une même voix.

     

    Ce qu’on vit pèse plus que la solitude des autres réunie. On est généreux le temps d’un mot, qui dure le temps qu’on le dit.

     

    On est là les yeux fermés, exactement comme si c’était une attente. Quand la pluie mouille, l’intérieur est d’abord atteint au cœur, ça va ensuite autour ; là où l’intérieur et le dehors se confondent c’est le plus impossible à toucher, là seulement où la tête repose au plus près.

    […]

     

    On meurt, on n’a rien demandé, c’est le premier geste qui nous porte à l’habitude, on se défait des images, quand on dort et qu’on ne voit rien, c’est là le meilleur, pas d’humidité à l’intérieur, on est effacé, comme si on avait disparu de soi.

     

    On est au début de la digue, au bout on est à la fin, si on n’a pas fini on revient, s’entassant là, se taillant une mémoire, un relief, par passages successifs, on s’occupe d’une place, on ne pense à rien, on est bien, on vit. »

     

    Ludovic Degroote

    La Digue

    Editions Unes, 1995, rééd. 2017

    https://www.editionsunes.fr/catalogue/ludovic-degroote/la-digue/

  • Geneviève Huttin, « Seigneur… »

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    DR

     

    « De l’impossible profération où longtemps il se plaint, résonnent le mots dans l’air tiède. C’est un hymne très lent et très ample, tu t’en souviens pour t’en être laissé agiter, pénétrer. Mais les nuances de ses mots, de ses gestes t’échappent. Aussi la beauté, la grandeur de ses intentions se perdent. Dans leurs terminaisons tu flottes, comme un pan libre de voile.

     

                Ad te clamo

                Vers toi Seigneur je crie…

              Te verrais-je marcher, venir à moi, répondre à mes caresses, je deviendrais tranquille…

     

    Entre les arbres de ses thèmes, tu cherches, tu veux un cours puissant, un ample mouvement de passage. Un mince fil de ta bouche, et les cailloux remontent vers tes lèvres, mais cette fin ne lui est pas encore assez violente…

     

     * * *

    Tu reçois toutes ses expressions perdues. Cet informe vêtement violent tu t’en vêts, t’en dévêts, tu fais ce que tes yeux l’ont vu faire, cependant qu’il avance, de plus en plus sans règles. Fidèle sans le poids des liens, tu fends dans ce courant, avec ce visage fol de qui vient demander à être armé, l’adoubement n’est pas de main humaine, c’est un toucher, un geste de poudre…

     

                 Tu m’as sur ton écu vomi, je suis souillé de tes crachats…

     

    Plus tremblant que le trait lui-même, planté, replanté, qui t’élance, comme il t’effleure, avec cette indécence des aveugles touchant quelqu’un de leur bâton, tu tressailles. Écriras-tu les messages de ses doigts, les menées de ses lèvres, pour qu’enfin cesse en toi le pressentiment de sa phrase… »

     

    Geneviève Huttin

    Seigneur…

    Dernière de couverture par Philippe Lacoue-Labarthe

    Coll. Poésie, dirigée par Mathieu Bénézet et Bernard Delvaille, Seghers, 1981

     

  • Emmanuel Hocquard, « Le cours de Pise »

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    « Faire cours ? Lorsque j’ai commencé, je savais ce que je ne voulais pas faire mais je n’avais encore qu’une vague idée de ce que j’allais faire. J’ai appelé ce cours Langage et écriture, en précisant bien ce que j’entendais, en l’occurrence, par langage : le langage ordinaire, le langage que nous pratiquons tous quotidiennement et comme “spontanément”. Or, ce langage de tous les jours est loin d’être aussi évident qu’il y paraît. Il charrie, sans que nous y prenions garde, une quantité de mots d’ordre qui marquent nos manières de penser et d’agir, car “on prend peu garde aux mots avec lesquels on pense” (Joseph Joubert, “30 novembre 1806”).

    Mais les mots, en eux-mêmes, ne sont pas le seul problème. Sauf rare exception, personne n’appellera chèvre une table. Mon cours n’avait pas pour but d’apprendre leur langue à des étudiants français (pour la plupart) ; ils la connaissaient déjà. Ce cours avait pour but de les rendre attentifs aux pièges que véhicule le langage dans toute son organisation logique, principalement grammaticale. C’est ici qu’écrire est précieux. Cela permet de voir ce qu’on a sous les yeux. De lire ce qu’on a écrit. Et d’y remédier éventuellement. »

     

    Emmanuel Hocquard

    Le cours de Pise

    Edition établie par David Lespiau

    P.O.L, 2018

    http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-4188-8

  • Maurice Olender, « Un fantôme dans la bibliothèque »

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    © Guillaume de Sardes

     

    « D’un train à l’autre

     

    De la mémoire que j’ai essayé de dire, je ne sais pas grand-chose. Il en est pourtant une que je connais, ou plutôt que j’éprouve, chaque fois que je traverse une frontière, et qu’on me demande de justifier, en l’exhibant, mon “identité”. Cette mémoire habite le corps des récits qui m’ont bercé, dans la chaleur inquiète des nuits où l’enfant, solitaire, passait d’un train à l’autre, d’un cauchemar à l’autre, sans jamais arriver, sans jamais savoir où le souvenir allait le mener.

    Assis sur les dalles rouges d’une maison aux murs indistincts, le petit enfant regarde, avide. L’inquiétude ne trouble pas son regard. Il ne sait pas encore ce qu’il devra un jour oublier. Ce qu’on lui raconte, qu’il ne retrouvera jamais, meuble son sommeil. Tout cela s’abrite en lui, qui devra porter tant de vies, tant de morts, sans pouvoir être dessiné dans ses cahiers.

    Du passé, il ne saura rien ; de l’avenir, il se croira le maître. En présence des choses, il jouera. Rien ne réparera jamais sa tête creuse. C’est tout ce qu’il ne retient pas qui l’habite, tout ce qu’il ne sait pas qui le guide. D’un pas certain pourtant, il avance, confiant.

    L’enfant rit. Et divertit tous ceux qu’il croise. Il se retrouve dans tant de visages, souriant au passage. Et quand une larme enfin vient combler un regard, il sait le mort tout proche et le serre dans ses bras en pleurant. Le cœur de l’enfant s’embrase alors, et il voit ce que nulle mémoire, jamais, ne pourra renfermer. »

     

    Maurice Olender

    Un fantôme dans la bibliothèque

    La librairie du XXIe siècle, Seuil, 2017

    https://diacritik.com/2017/06/20/maurice-olender-un-fantome-dans-la-bibliotheque-un-livre-ou-lauteur-sexpose-plutot-quil-nexpose-le-grand-entretien/

  • Jacques Aumont, « 2x2. Godard. Hélas pour moi. Nouvelle vague »

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    « Qu’est-ce que l’amour ? Il aura fallu, dans l’œuvre de Godard, attendre ces deux films pour avoir une réponse qui réponde à la question. Il n’en parlera plus jamais aussi bien, avec autant de fraîcheur. Éloge de l’amour est, sur ce plan, une régression triste, vers un monde où les hommes et les femmes “se volent mutuellement la solitude et l’amour”, comme disait cyniquement le PDG de Nouvelle vague. Elena Torlato-Favrini et Rachel Donnadieu ne sont pas des mythes (elles ne sont pas la Vierge Marie) : c’est en sujets humains féminins qu’elles aiment, de tout leur corps lorsqu’il le faut, et de toute leur volonté. L’homme qui les a inventées n’est qu’un homme. Deux films pour dire l’énigme de l’amour, l’énigme du féminin pour un homme, c’est peu, mais Godard en est humblement fier : “Au terme de cette longue entreprise il m’arrivera d’être celui qui aime. C’est-à-dire de mériter enfin le nom que je m’étais donné : un homme, rien qu’un homme, et qui n’en vaut aucun, mais qu’aucun ne vaut.”, dit-il à la fin de son Autoportrait.

     

    * * *

     

    Faire de la fiction, faire ces deux films, c’est oublier, un temps, l’amour de l’art pour l’amour tout court. C’est aussi, un moment, s’apercevoir que le monde autour de soi existe. “Est-ce que l’écrivain sait de quoi il parle ?” demande-t-on à Pierre Bergounioux dans Notre musique*. Réponse : “Non, bien sûr que non. Il doit se contenter de raconter ce que les autres font.”

    Raconter. Raconter les autres, s’intéresser à l’amour, oublier un moment le tête-à-tête solitaire avec l’art. Ne pas être épuisé, en dépit de tout et de soi-même. Cela valait le détour. »

     

    Jacques Aumont

    2x2. Godard. Hélas pour moi. Nouvelle vague.

    202 éditions, 2018

    http://202editions.blogspot.fr/

     

    * Qui est un des plus grands Godard, un des 3 ou 4 que l’on se doit de voir & revoir. (note du blogueur)

  • Qin Guan, Deux poèmes

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    « AUX CONFINS DU CIEL, LOURDE DE CHAGRINS PASSÉS…

     

     Air : « Les Magnolias. Version abrégée ».

     

    Aux confins du ciel, lourde de chagrins passés,

    Seule, glacée, misérable, et nul ne s’enquiert de moi,

    Je voudrais dévoiler mon cœur aux mille tourments brisé,

    Comme se brise le parfum des fines écritures* hors l’encensoir doré.

     

    Mes sourcils de jais si souvent froncés

    Qu’un vent de printemps ne peut même détendre ;

    Lasse, appuyée dans un pavillon haut perché :

    Une grue qui s’enfuit dessine trait après trait ma peine…

     

    SUR LA BRANCHE UN LORIOT AUX MÉLODIES INCESSANTES…

     

    Air : « Ciel de perdrix »

     

    Sur la branche un loriot aux mélodies incessantes qui s’accordent à mes larmes,

    Traces de pleurs nouvelles ajoutées aux anciennes.

    Tout le printemps, les carpes et les oies sauvages n’ont porté nulle lettre** ;

    Séparée par les passes et les monts sur mille lis, mon âme, hors d’elle, en songe s’épuise.

     

    Muette, face aux coupes parfumées,

    Je prépare mon cœur qui se brise au crépuscule qui vient.

    Je viens juste d’allumer les lanternes,

    La pluie frappe les fleurs de poirier, et je ferme à fond les portes. »

     

    * les fines écritures (litt. « la petite sigillaire ») désignent les volutes qui s’échappent du brûle-parfum.

    ** les anciens Chinois croyaient que les carpes et les oies sauvages étaient des messagers.

     

    Qin Guan (1049-1100)

    « La dynastie des Song du Nord — 960-1127 »

    Textes traduits, présentés et annotés par Stéphane Feuillas

    Anthologie de la poésie chinoise

    La Pléiade, Gallimard, 2015