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Un nécessaire malentendu - Page 33

  • Gu Hengbo, « La pensée nocturne dans le pavillon Haiyue »

    Orchidées solitaires. Musée national du palais, Taipei..png

    Gu Mei, Orchidées solitaires (détail). Musée national du palais, Taipei.

     

    « Au-delà du rideau parfumé

    La pluie fine mouille le ciel nocturne

    Les feuilles jaunes s’envolent

    Je me couvre de vêtements du soir.

     

    La cour peinte ombragée par des lianes

    Leurs tiges en harmonie avec l’automne

    Les saules cachent la balustrade rougeâtre

    La lune jette sur le sol des ombres timides.

     

    Les fleurs grelottent dans le froid nocturne

    Ma silhouette amaigrie tremble dans la pénombre

    Le perron froid sombre dans une obscurité profonde

    Les oies sauvages restent silencieuses sur les branches.

     

    Dans cette montagne la forêt est immense

    Je savoure cette vie d’ermite

    Le vent se lève du côté des pins robustes

    La porte bien fermée je me couche sur la natte. »

     

    Gu Hengbo, prostituée et chanteuse très connue dans la capitale de la dynastie des Ming, était l’une des « huit beautés de Nankin » de son époque. Animée d’une générosité chevaleresque, elle sauva la vie à plusieurs guerriers qui résistaient à l’invasion des Mandchous qui allaient bientôt fonder la fameuse dynastie des Qing. Dégoûtée par la vie de prostitution, elle épousa Gong Hefei, en tant que concubine de grand lettré. Ses poèmes sont célèbres pour la description minutieuse des différents sentiments. Elle mourut à Pékin à quarante-six ans, laissant le Recueil des poèmes écrits dans le pavillon des chatons de saules.

     

    Gu Hengbo – Gu Mei, 1619-1663

    In Femmes poètes de la Chine

    Traduction, annotations et calligraphies de Shi Bo

    Le Temps des Cerises, 2004

    https://www.letempsdescerises.net/?product=femmes-poetes-de-la-chine

  • Paul Celan, « Contre personne lové »

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    DR

     

     

    « Contre personne lové avec sa joue –

    contre toi, vie.

    Contre toi, d’un moignon de main

    trouvée.

     

    Vous, doigts.

    Loin, en chemin,

    aux croisements, parfois,

    la halte

    avec les membres affranchis,

    sur

    le coussin de poussière Autrefois.

     

    Provision du cœur devenu bois :

    qui brûle,

    valet d’amour et de lumière.

     

    Une petite flamme de demi-

    mensonge encore dans

    ce pore-ci,

    cet autre, lassé de veille,

    que vous touchez.

     

    Bruits de clefs là-haut,

    dans l’arbre

    du souffle au dessus de vous :

    le dernier

    mot qui vous ai regardé

    doit maintenant rester seul avec soi.

     

    ……………………….

     

    Contre toi lové, d’un

    moignon de main trouvée :

    vie. »

     

    Paul Celan

    La rose de personne / Die Niemandsrose (1963)

    Traduit de l’allemand par Martine Broda

    Bilingue

    Le Nouveau Commerce, 1979, rééd. Points Seuil, 2007

  • Tchouang-tseu, « …un vieil homme qui nageait dans les remous… »

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    Ike no Taiga – 1723-1776 – , Tchouang-tseu rêvant d’un papillon, ou un papillon rêvant de Tchouang-tseu

     

    « Confucius admirait la cataracte de Liu-leang dont la chute mesurait trente toises et dont l’écume s’étendait sur quarante stades. Dans cette écume, ni tortue géante, ni caïman, ni poisson, ni trionyx ne pouvaient s’ébattre. Soudain, Confucius vit un vieil homme qui nageait dans les remous. Le prenant pour un désespéré, il donna l’ordre à ses disciples de suivre la berge et de le retirer de l’eau. À quelques centaines de pas plus bas, l’homme sortit de l’eau par ses propres moyens. Les cheveux épars et tout en chantant il se promena au bas du talus. Confucius l’ayant rejoint, lui dit : “J’ai failli vous prendre pour un esprit, mais je vois que vous êtes un homme. Permettez-moi de vous demander quelle est votre méthode pour pouvoir nager si aisément dans l’eau.

    – Je n’ai pas de méthode spéciale, répondit l’homme. J’ai débuté par accoutumance ; puis cela est devenu comme une nature ; puis comme mon destin. Je descends avec les tourbillons et remonte avec les remous. J’obéis au mouvement de l’eau, non à ma propre volonté. C’est ainsi que j’arrive à nager si aisément dans l’eau.

    – Que voulez-vous dire, demanda Confucius, par les phrases suivantes : j’ai débuté par accoutumance ; je me suis perfectionné naturellement ; cela m’est devenu aussi naturel que mon destin ?

    – Je suis né dans les collines, répondit-il, et j’ai vécu à l’aise, c’est l’accoutumance ; j’ai grandi dans l’eau et je m’y trouve à l’aise, c’est la nature ; je nage ainsi sans savoir comment, c’est le destin. »

     

    Tchouang-tseu – IVe siècle av. J.-C.

    Extrait du chapitre XIX de « Avoir une pleine compréhension de la vie »

    In Œuvres complètes

    Traduit du chinois, préfacé et annoté par Liou Kia-hway

    Gallimard/unesco, 1969, rééd. Folio essais n°556, 2014

  • Lu Yu, « Sous la lune buvant légèrement »

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    Haruki Nanmei, Portait de Lu Yu, XIXe

     

    « hier tout autour de l’auvent, la pluie

    face à la lampe solitaire je me grattais la tête

    cette nuit, le clair de lune plein la cour,

    je chante longuement adossé au saule dépouillé

    les changements du monde sont immenses, infinis

    de la réussite à l’échec un revers de la main

    dans la vie d’un humain la chose la plus heureuse est,

    allongé, d’entendre qu’on presse le vin nouveau

    depuis mon retour de Cheng-tu,

    je me lamente de voir parents et amis dépérir

    nombre d’entre eux sont déjà inscrits sur le registre des morts

    mais qui pourrait vivre éternellement ?

    les jeunes pour la plupart je ne les connais pas

    nul ne consent à avoir des égards envers le vieillard décrépit

    une coupe, personne avec qui la partager

    je vais frapper à sa porte pour appeler mon vieux voisin »

     

    Lu Yu – 1125-1210

    In L’Art de l’ivresse

    Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun

    Coll. Spiritualités vivantes, Albin Michel, 2014

  • Tao Yuan-ming, « Étudiant le Classique des montagnes et des mers »

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    Tani Bunchō, Tao Yuanming assis sous un saule. Japon, 1812

     

    « c’est le début de l’été, herbes et arbres sont luxuriants

    les arbres feuillus entourant la maison déploient leur ombrage

    les oiseaux se réjouissent d’y trouver refuge

    j’aime moi aussi ma chaumière

    comme j’ai déjà labouré et même semé,

    j’ai du temps pour lire mes livres

    mon allée à l’écart est loin des grandes avenues,

    même les carrosses des vieux amis font demi-tour

    joyeux je bois le vin printanier,

    et cueille des légumes dans le potager

    une pluie légère vient de l’est,

    un bon vent arrive en même temps

    je feuillette les aventures du roi de Chou,

    promène mon regard sur les images des montagnes et des mers

    le temps de baisser la tête et de la relever, j’ai parcouru l’univers

    pour se réjouir que faut-il de plus ?

     

    Tao Yuan-ming – 365-427

    In L’Art de l’ivresse

    Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun

    Coll. Spiritualités vivantes, Albin Michel, 2014

  • Épouse de Dai Shiping, « Poème d’adieu »

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    Fragment de fresque en stuc polychrome, Dynastie Song, Chine.. DR

     

    « Malgré mon talent et ma sagesse

    Fille de triste destinée

    Je ne trouve aucun moyen de te garder

    Je froisse cette feuille magnifique

    J’y couche mon désespoir et ma détresse

    Le long du chemin les saules dansent

    Ma mélancolie grandit sans cesse

     

    Comment pleurer sur ma mauvaise destinée ?

    Ma vie est détruite

    À cause de ma légèreté.

    Te souviens-tu de nos serments sous la lune ?

    Ce n’était pas un rêve.

    Si à l’avenir tu reviens

    N’oublie pas de rendre visite à notre chambre

    Et de verser une coupe de vin sur ma tombe. »

     

    On ne connaît pas le nom de l’auteur qui était la fille d’un riche commerçant de la province du Jiangxi, non loin de Shangaï. Un jour, le lettré Dai Shiping voyageait dans cette province et rencontra cette charmante jeune fille qui tomba amoureuse de lui et l’épousa. Trois ans après, tourmenté par sa première épouse et ses enfants dans son pays natal, Dai voulut quitter Jiangxi et avoua qu’il était déjà père de deux enfants. Le riche commerçant se mit en colère et la poétesse essaya de le calmer. Saluant le départ de son mari Dai, la poétesse lui offrit son coffre de toilette et ce poème d’adieu.

     

    Épouse de Dai Shiping – Dynastie Song du Nord, 960-1279

    In Femmes poètes de la Chine

    Traduction, annotations et calligraphies de Shi Bo

    Le Temps des Cerises, 2004

    https://www.letempsdescerises.net/?product=femmes-poetes-de-la-chine

  • Sou Che (Su Tung Po), « Sur l’air “Chanson de l’immortel de la grotte” »

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    « Ses os étaient de jade ;

    Sa chair un frais cristal de glace, sans une goutte de sueur.

    Le vent emplissait d’un parfum secret tout le palais au bord de l’eau.

    Quand s’écartait le store brodé, le clair de lune nous épiait.

    Pas encore endormie, elle appuyait sur l’oreiller sa chevelure en désordre.

     

    Je me levais pour saisir sa main de soie.

    Aucun bruit à la porte du pavillon.

    Parfois, on voyait une étoile filante traverser la Voie Lactée.

    Je demandais : “Où en est-on de la nuit ?”

    “C’est déjà la troisième veille.”

    Les flots dorés de la lune pâlissaient ; les étoiles du Cordeau de Jade* s’inclinaient.

    Nous calculions sur nos doigts quand viendrait le vent d’Ouest**.

    Et pourtant, nous ne parlions pas des années,

    Qui secrètement s’échappent. »

     

    * La queue de la Grande Ourse, qui tourne autour du Pôle avec les saisons.

    ** L’automne

     

    Sou Che (Su Tung Po) — 8 janvier 1037- 24 août 1101

     Traduit du chinois par O. Kaltenmark

    In Anthologie de la poésie chinoise classique

    Sous la direction de Paul Demiéville

    Gallimard, 1962, rééd. Coll. Poésie/Gallimard, 2000

  • Li Qingzhao, « Sheng Sheng Man »

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    Zhao Bingzhen, Musée du Palais, Pékin

     

    « Chercher chercher,

    seule seule toujours,

    triste triste toujours.

    Tantôt chaud tantôt froid :

    guérir est difficile.

    Avec deux ou trois verres de vin doux,

    comment résister à la violence du vent nocturne ?

    Des oies sauvages passent :

    chagrin renouvelé,

    voilà de vieilles connaissances.

     

    Terre jonchée de chrysanthèmes,

    corolles desséchées.

    Qui voudrait en cueillir encore ?

    À la fenêtre toute seule,

    comment tuer le temps jusqu’à la nuit ?

    Platane sous la pluie fine,

    la nuit tombe, dian-dian, di-di*.

    C’est comme ça :

    en un seul mot : chagrin. »

     

    * goute à goutte

     

    Li Qingzhao – 1084-1151

    In Poèmes à chanter Tang & Song

    Traduits et présentés par Yun Shi & Jacques Chatain

    Coll. Morari, éditions Comp’act, 1988

    un autre poème de Li Qingzhao sur ce blog : http://www.unnecessairemalentendu.com/archive/2016/02/08/li-qingzhao-le-printemps-est-venu-5757284.html

  • Tu Long, « Propos détachés du Pavillon du Sal »

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    Anonyme, Portait d’un lettré. Peinture, couleurs sur soie. XIe siècle, dynastie des Song du Nord. Musée du Palais, Taipei

     

    « Se pencher sur son reflet solitaire dans un étang et s’amuser à regarder les poissons agitant l’eau de leurs bonds.

    Suivre dispos et nonchalant les détours d’un sentier et voir soudain une pousse d’orchidée sortir de terre.

    La perfection existe dans l’infime et le plaisir n’en est que plus fort.

     

    Épanouir ses talents et ses vertus comme de jeunes fleurs, jardin printanier sous une brise ensoleillée.

    Porter ses cheveux blancs comme un arbre ses feuilles rougies, forêt automnale au paysage encore plus somptueux. »

     

    Tu Long – 1542-1605

    Propos détachés du Pavillon du Sal

    Traduits du chinois & présentés par Martine Vallette-Hémery

    Séquences, 2001

    http://www.alidades.fr/sequences.html

  • Li Ho, « Servez le vin »

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    Grande jarre à tête anthropomorphe (détail), culture de Majiayao. Chine du Nord, fin du IIIe-début du IIe millénaire avant notre ère. Terre cuite chamois, décor peint. Musée Guimet, Paris

     

    « Lourd lapis-lazuli

    Ambre sombre et puissant.

    Le vin quand il jaillit des tonnelets

       tombe comme un collier de perles rouges.

    Dragon à la vapeur phénix rôti

       larmes grasses de jade qui ruissellent

    Tapisseries brodées rideaux de gaze

       conservent les parfums à l’intérieur.

    Flûte d’os de dragon

    Tambours en peau d’iguane

    Chantent les dents brillantes

    Dansent les tailles fines.

    Surtout dans le vert tendre du printemps

       dans la lumière de ce crépuscule

    Quand une averse de fleurs de pêchers

       tombe sur terre comme une ondée rouge.

    Buvez buvez toujours je vous adjure

       buvez enivrez-vous la vie entière :

    Il n’y a plus personne désormais

       qui verse sur la tombe de Liu Ling un peu de vin* »

     

    * Liu Ling, célèbre jouisseur du IIIe siècle, avait demandé qu’on l’enterre avec des gourdes de vin. Mais, plus de cinq cent ans après sa mort, plus personne ne survit pour entretenir sa tombe et lui donner à boire. (NDT)

     

    Li Ho – 791-817

    In Ombres de Chine – Douze poètes de la dynastie Tang (680-870) et un épilogue

    Choix, traduction et commentaire par André Markowicz

    Inculte / Dernière marge, 2015

    http://www.inculte.fr/catalogue/ombres-de-chine/

  • Yuefu anonyme, « Ballade des papillons »

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    Anonyme, Fleurs et papillon, Dynastie Ming

     

    « Les papillons folâtrent dans les jardins de l’est.

    Au troisième mois, où vont-ils rencontrer des hirondelles qui en nourriront leurs petits ?

    Ils me rejoignent parmi les luzernes ;

    Ils m’assistent quand je pénètre dans les profondeurs du Palais Pourpre*.

    Ils s’y déplacent à l’entour des chapiteaux et des colonnettes.

    Les passereaux arrivent alors pour banqueter ;

    Ils viennent pour donner la becquée à leurs oisillons,

    Hochant la tête en battant des ailes.

    Où volettent-ils ? Où volettent-ils donc ? »

     

    * Palais Impérial. C’est aussi le nom de la Cité interdite, d’une constellation qui couvre une région voisine du pôle nord céleste, empiétant sur la Grande Ourse, la Girafe et le Dragon. On nomme aussi le sternum de cette façon.

     

     Yuefu** anonyme

    Dynastie des Han, 206 av. J.-C. – 220 après J.-C

    traduit du chinois par Rémi Mathieu

    Anthologie de la poésie chinoise

    La Pléiade, Gallimard, 2016

     

    ** Le Yuefu, Bureau des musiques, est un genre poétique chinois typique de la dynastie Han. À l’origine le Yuefu est une chanson populaire anonyme, il deviendra un genre très prisé par les lettrés.

     

  • Yang Wan Li, « Pour remercier Wu Te hua, commissaire du thé de Chian chow, qui m’a envoyé une nouvelle édition d’un recueil de Su Tung po* »

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    Ma Yuan (actif 1190-1225), Promenade sur un sentier de montagne au printemps (détail), peinture, encre et couleurs sur soie. Musée du Palais, Taipei

     

    « L’or jaune, le jade blanc, des perles claires comme la lune, des chansons limpides, des danses merveilleuses, une jeune beauté à renverser une ville, les autres ont tout cela, moi seul n’ai rien. Comme Hsiang yu** je n’ai que quatre murs pour m’entourer. À part cela j’ai aussi une étagère de livres. Si elle ne suffit à me rassasier, au moins elle rassasie les termites argentés. Un vieil ami au loin vient de m’envoyer un recueil de Tung po. Les vieux livres quittent tous la natte pour lui céder la place. Quand j’étais enfant, espiègle, pour les cent choses je n’étais pas paresseux, mais quand il s’agissait d’étudier, exprès je me levais tard. Mon père se fâchait, blâmait son fils sot et m’ordonnait, l’estomac affamé, de dévorer de vieux livres abimés. Avec la vieillesse pour les dix mille choses je suis à la traîne derrière les autres. Quand avec nonchalance je prends un vieux livre pour occuper mes yeux malades, dès qu’ils rencontrent le livre mes yeux malades se brouillent. Les caractères gros comme des mouches deviennent de vieux corbeaux. Mes yeux malades, que peuvent-ils donc faire avec de vieux livres ? Quand je feuillette un vieux livre, tout le temps je soupire. Ce recueil de Tung po je l’ai déjà, mais avant d’arriver au dernier chapitre ma main s’arrête. L’encre est imprimée de façon floue, le papier n’est pas bon. Ni bon papier, ni bonne calligraphie. Mais le texte vient d’être gravé sur du bois de jujubier de Fu sha. La gravure fidèle, vigoureuse et svelte ne trahit pas l’original. Le papier est comme un cocon de couleur de neige qu’on sort d’une bassine de jade, les caractères comme le dessin des oies sauvages du givre sur les nuages d’automne. Avec la vieillesse mes deux yeux voient comme à travers le brouillard, quand ils croisent des saules, quand ils croisent des fleurs, ils ne les remarquent même pas. Mais chaque fois qu’il croisent un beau livre neuf, toute la journée ils l’apprécient, ne veulent plus le quitter. Tung po est encore plus fou que moi, il a refusé d’échanger sa veste de toile grossière pour devenir l’un des trois ministres. De son pinceau surgit un langage étonnant, à balayer les chevaux ordinaires de dix mille générations. Vieil ami, tu t’apitoies, comme en vieillissant je deviens plus obtus, au lieu de m’envoyer un élixir pour soigner mes os malades, tu m’envoies ce livre pour me bousculer un peu. Je gratte ma tête blanche jusqu’à ce que la lampe bleue s’éteigne. »

     

    * Poète, peintre, 1037-1101

    ** Chef militaire de la fin de la dynastie Qin, 232-202 av. J.-C. Selon la légende il se serait décapité lui-même.

     

    Yang Wan Li

    Le son de la pluie

    Traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 1988

    http://www.moundarren.com/poeteschinois/yangwanli