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Un nécessaire malentendu - Page 97

  • Ritournelles

    c6f912405649d87db6d8e2a57b4dc73b.jpgOuverture du festival Ritournelles
    autour des éditions Inventaire-Invention

    mercredi 10 octobre

    Loft privé, 9 rue Maurice, 33000 Bordeaux
    Parking Chartrons Hangar 15/16
    Tram B Arrêt Cours du Médoc


    Lectures et concert avec Eddie Ladoire et Mathieu Immer
    Avec : Philippe Adam / Julien Blaine / Patrick Bouvet / Jean-Michel Espitallier

    D’abord pôle multimédia de création littéraire, la revue Inventaire-Invention créée en 1999 est devenue peu à peu une petite maison d’édition pas tout à fait comme les autres. Les courts textes publiés et diffusés en librairies par ces éditions sont aussi disponibles en accès libre sur Internet. http://www.inventaire-invention.com
    « Ce qui me tient à coeur, c’est la question de l’écriture du réel. Cette notion extrêmement contradictoire, complexe, qui veut tout et rien dire mais qui me parle. Le réel ne tient pas en place, ne se laisse pas saisir, il est fuyant. Vouloir croire comme dans l’écriture réaliste que c’est en employant une langue plate et sans recherche qu’on va saisir le réel est une erreur fondamentale. Le réel se fout de ça. Il attend autre chose. L’idée d’Inventaire/Invention est basée sur cette espèce d’instabilité foncière, l’impossibilité de dire ‘‘le réel est là’’. Le réel est tout sauf là. Il est où on ne l’attend pas. »

    Philippe Adam est l’auteur d’un premier roman remarqué, De Beaux restes (Verticales, 2002). Il a ensuite conçu pour la collection Minimales un étrange pari littéraire avec La Société des amis de Clémence Picot (Verticales, 2003). Canal Tamagawa, son troisième texte, a été écrit à la Villa Kujoyama à Kyoto en 2004 (Verticales).
    Il a également publié chez Inventaire/Invention éditions
    Chirurgie, 2002.
    Le syndrome de Paris, 2005.
    France audioguide, 2007.


    Julien Blaine. Poète et performeur, Julien Blaine est un acteur incontournable de la littérature contemporaine. Il est également le créateur du Centre International de Poésie de Marseille (cipM), de la revue d’avant garde Dock(’s) et de nombreuses manifestations publiques.
    « Pas besoin d’en rajouter, JB, est un pilier majeur de la poésie contemporaine française et l’un de ceux qui passent le mieux la rampe des lectures publiques, y compris à l’étranger. Mais c’est aussi un hyper-activiste que les ennemis de la poésie et les artistes plus ou moins usurpateurs des découvertes des poètes ont bien du mal à contenir ! C’est dans ses débordements tonitruants ou drolatiques qu’on le préfère.»
    sitaudis.com

    Patrick Bouvet. Écrivain et plasticien, Patrick Bouvet expérimente une écriture croisant
    les techniques musicales du remix et celles du collage en arts plastiques. En détournant les formulations médiatiques, il propose une interrogation poétique sur la représentation du monde induite par le médiatique. (Inventaire-invention)
    Bibliographie
    Aux éditions de l’Olivier : In situ, 1999 ; Shot, 2000 ; Direct, 2002 ; Chaos boy, 2004 ; Canons, 2007.
    Aux éditions Inventaire-invention :
    Ciel à l’envers, 2000 ; Expérience, 2001 ; Client zéro, 2002 ; Flashes, 2005.


    Jean-Michel Espitallier.
    « Jean-Michel Espitallier est l’un des poètes les plus mobiles et véloces de sa génération. » Patrick Kéchichian, Le Monde
    Il a publié Gasoil : prises de guerre, 2000 et Le Théorème d’Espitallier, 2003, éditions Flammarion ; En guerre, 2004, éditions Inventaire-invention ; Toujours jamais pareil (avec Pierre Mabille), éditions Le Bleu du ciel, 2005 ; Tractatus logo mecanicus (pensum), éditions Al Dante, 2006 ; Pièces détachées : une anthologie de la poésie française aujourd’hui, Pocket, 2000 et Caisse à outils, un panorama de la poésie française aujourd’hui, Pocket, 2006.

    Mathieu Immer et Eddie Ladoire
    Après une première apparition en mars 2007 (Nuit de la Création - TNBA), deuxième opus d’un duo bordelais : les musiques digitales d’Eddie Ladoire se mêlent de nouveau à la contrebasse de Mathieu Immer. Deux approches instrumentales opposées, un même souci du son.


    Mathieu Immer
    Contrebassiste, Mathieu Immer multiplie les rencontres avec des artistes, musiciens, écrivains, danseurs ou gens de théâtre. Il a fondé avec Didier Lasserre et dirige le label de musique improvisée Amor fati.

     

    67a97b3e25d877929c0f55cf4a06fc59.jpgJeudi 11 octobre : 10h00-16h00
    Théatre Molière - Scène d’Aquitaine Bordeaux
    L’écrit contemporain et la musique
    Journée de réflexion Musique improvisée & électronique

    en partenariat avec l'Arpel Aquitaine 


            09h30 : Accueil
            10h00 : Introduction d’Omar Berrada (modérateur)
            10h30 : Ecriture et musique improvisée

            Intervenants : Beñat Achiary, Julien Blaine, Didier Lasserre
            11h30 : L’exemple d’une résidence de création
            Intervenants :Patrick Bouvet, Eddie Ladoire
            12h30 - 13h45 : Déjeuner libre
    925f774155493b8ff03b6e9f7f25faa1.jpg13h45 : Promouvoir les créations croisées
    Intervenants :Didier Arnaudet, Julien Blaine, Mathieu Immer
    14h45 : Quelques exemples de créations
    Intervenants : Julien Blaine, Jean-Michel Espitallier, Joëlle Léandre
    16h00 : Conclusion d’Omar Berrada

     

    Programme complet de la manifestation sur www.permanencesdelalitterature.fr/ 

  • La Rencontre dans l'escalier

    Vient de paraître par l'auteur de ce blog :

     

    6c69b24e8f7ac7b0e6aa649c83f2dbef.jpgLa Rencontre dans l'escalier

    Claude Chambard 

    Editions de l'Atelier In 8, www.atelier-in8.com/editions 

    Coll. La Porte à côtée ; 11x17 ; 40 p. ; 5 € ; isbn 978.2.916159.37.9 

    "Une maison, un salon, un bureau, un grenier, un escalier. Et des livres, des livres partout du sol au plafond. Un homme en bas, une femme en haut, que sépare chaque jour davantage l'escalier, cet escalier où montent et descendent leurs voluptueuses attentes, gonflées des mots que l'un habille ou travestit, emplies des mots que l'autre dénude et caresse de sa bouche rouge. Une maison où se croisent leurs désirs sans ne rencontrer jamais que leurs amants de papier, où les cris du plaisir de l'un sont la souffrance de l'autre, où le jouisseur est toujours le soliste d'une ultime et meurtière musique." dit la quatrième de couverture. 

  • Cercle

    27d276cda058ec21cfc9118ed05a5752.jpgCercle
    Yannick Haenel

    « Lorsqu’on écrit une phrase d’un livre, toutes les phrases de ce livre se mettent à vibrer. Celles qui sont déjà écrites, aussi bien que celles qui vont s’écrire. Elles se déplacent, s’ajustent. C’est imperceptible. Au moment d’écrire une phrase, cette phrase vous est donnée par les autres phrases du livre : en se mettant à exister, elle modifie par sa seule existence l’ensemble des phrases, qui toutes se mettent à changer, tout en restant les mêmes. »


    Voici un livre qui divise. Tant mieux ou qu’importe.
    Je n’ai pas lu les précédents livres de Yannick Haenel.
    J’ai entendu bien des sottises sur Cercle, venant, pour l’essentiel, de gens qui avouaient l’avoir parcouru, avoir fait du vent avec les pages. De cette famille très répandue des lecteurs qui ne lisent pas mais qui savent – et le livre de Pierre Bayard bien mal lu leur donne, croient-ils, raison. Ce n’est pourtant pas du tout ce que Bayard souhaitait d’évidence.
    J’ai beaucoup aimé Cercle, lu pour l’essentiel dans le train.

    Depuis la dernière page – manuscrite –, Cercle continu son chemin en moi. J’y pense beaucoup. J’ai recopié de nombreuses phrases.
    C’est un livre où la phrase est fondamentale.
    Les livres où la phrase a toute sa place ne sont pas si courant. – Pierre Guyotat, Roger Lewinter…
    Yannick Haenel vient d’écrire un gros livre où il exprime la phrase  – comme on dit qu’un torero exprime le toro.
    Cinq ans sur la phrase. Phrase après phrase. Cinq ans.
    Parce que la phrase mérite la lenteur, le travail, oblige à une déambulation en soi-même afin de se réveiller du cauchemar de l’Histoire – cf. Benjamin et Joyce – et de notre propre histoire.
    La phrase comme renaissance, voilà ce que Yannick Haenel propose et il a bien raison.
    Moby Dick, Ulysse, Dante, Joyce… et Benjamin, Celan, Sebald, témoins incontournables de l’Histoire du XXe siècle. Tous croisés dans le livre dans la contraction du temps que permet l’écriture, que permet la phrase.

    Une danseuse – Anna Livia de la troupe de Pina Bausch – dont les gestes lestés de sens et de légèreté font échos aux phrases, des femmes, beaucoup de femmes, beaucoup de corps de femmes, puisqu’il s’agit de reprendre absolument vie.
    Jean Deichel saigne, et ce retournement du corps, ce retour au corps, permettent à la vie de revenir, puisque la mémoire immémoriale n’abandonne jamais celui qui s’engage dans la voie du langage.

    Au début du livre Deichel décide ne pas prendre le train de 8h07 qui l’emmène à son travail. Plus tard, on trouvera ces phrases que chacun doit méditer sauf mourir : « Appartenir au “monde du travail”, c’est collaborer à son propre écrasement. » « Comment avez-vous pu laisser vos vies se rétrécir ? demande Marx (par ma bouche). N’est-ce pas la seule question ? La seule véritable question politique ? On commence par se sentir misérable, et voici que l’on met à barboter dans la souille, dit-il (par ma bouche). Bien sûr, la plupart du temps, ça ne se voit pas. La boue est invisible. C’est toujours comme ça avec la classe moyenne : elle sauve les apparences. Mais dès que vous approchez le nez, ça sent le derrière humain. Car les petits compromis honteux ont beau se fondre dans votre intimité – ils schlinguent. Vous laissez votre vie quotidienne se facturer comme une marchandise, comme un slip, un aspirateur, une portion de frites ? Si vous bradez ainsi votre âme, c’est normal qu’elle sente mauvais.»

    Il faut lire ce livre, ambitieux. S’y précipiter, on ne s’y perdra pas car «Le labyrinthe n’est pas le chemin qui vous mène à votre perte, mais le chemin qui revient. Celui qui vous ramène toujours au même point – à cet instant qui est, qui a été, qui sera. Ce point est le vôtre. C’est ce point qu’il faut vivre, et les phrases vous ouvrent à ça. Car au moment où une phrase s’écrit, toutes les phrases existent. Dans l’éternel retour des phrases, le réveil a lieu à chaque instant.»


    « Avec un manteau et du papier, le monde s’ouvre. Avec un manteau, de l’encre et du papier, vous changez le monde. Et même si personne ne le remarque, cela n’empêche pas le monde d’être changé. Que quelqu’un, à l’instant, s’enveloppe d’un manteau, qu’il trouve de l’encre et du papier, qu’il commence à écrire, et l’on verra si le monde reste le même. »

    Oui, on verra.

     

    Gallimard ; coll. L’Infini ; 14x20,5 ; ill. ; 500 p. ; 21 € : isbn : 978.2.07.077600.9

     

  • Aller au diable

     

    36140496917c2caeaea01ec755202aaa.jpegAllain Glykos
    Aller au diable
    14x20,5 ; 128 p. ; 14 € ; isbn : 978.2.914387.90.3

    Allain Glykos – le crétois de Talence comme ils disent au football –, nous donne depuis bientôt vingt ans régulièrement de ses nouvelles et, le plus souvent, par les bons soins de Claude Rouquet l’éditeur de l’Escampette qui a quitté Bordeaux pour le calme et les paysages de la Vienne.
    L’œuvre se fabrique ainsi sous nos yeux, sur le thème – souvent – de la famille, des rapports aux autres, aux siens, aux proches. Ainsi de Parle-moi de Manolis, du Silence de chacun, d’À proprement parler, de Faute de parler… avec cette persistance d’expressions communes dans le titre. Aller au diable en est une belle. Le plus terrible avec Allain Glykos c’est qu’en prenant l’expression au pied de la lettre justement, il en tire la substantifique moelle pour nous montrer ce que nous sommes – et dont il ne s’exclut pas, loin s’en faut.

    Donc, Aller au diable. Allons-y.
    Antoine – ou François, ou Gustave, mettons–, fils d’Étienne cafetier et gendre de cafetier à l’enseigne du Petit Paris, admirateur de Paul Lafargue et de Jules Guesde,  précurseur de l’ascenseur social – tout ceci se passe fin XIXe, début XXe –, peseur de mots comme pas deux et père ambitieux… Antoine, donc, est un petit gars formidablement intelligent, qui aime bien les gambettes des clientes – et même des clients, il n’y aurait rien de sexuel là-dedans – au point de les reconnaître au premier coup d’œil, un petit gars qui passe des heures à diriger des colonnes de fourmis, à contrarier leur progression – le voilà « commandant des fourmis ».
    Les ambitions de papa, envoient Antoine au Lycée, à l’internat. Il a le soutien de l’instituteur, certes, mais il perd les jambes, les chaussures, les fourmis, et comme il est fort en thème – comme on dit –, il se taille une bien mauvaise réputation auprès de ses condisciples, fils de bourgeois pour l’essentiel – « Pour qui il se prend ce fils de cafetier ! ». 
    Il obtient son bac – la fiertié de papa ce jour-là… – l’année du cuirassé Potemkine – ça nous met en 1905. Du passé faisons table rase – qu’ils chantaient ! –, voilà ce qui lui paraît évident, seulement voilà, lui il a lu ça chez Descartes. Faire table rase de tout ce qu’il avait appris dans ce maudit Lycée pour commencer. Faire tabula rasa.
    Et ça pour faire table rase, il va l’araser la table. Il part. Il laisse tout. Il marche devant lui. Il croise une femme – Madeleine, jeune et jolie, tirée à quatre épingles, enfileuse de perles de profession, spécialisée en de couronnes mortuaires – elle le suit, comme un chien… comme un chien qui lèche la main de son maître. Il la possède sans joie, peut-être sans plaisir, il s’absente. Du monde, de lui-même. Il n’est plus là. Il marche, il marche, il va au diable.
    Dans les marais de Charente-Maritime, il croise un Courbet sur le motif, il colle de plus en plus à la vase, il s’y enfonce, Cet ensauvaginement, cet oubli – oublier devient le vrai moteur de son existence –, cette marche éperdue dans les crassats comme autant de charniers – allusion nette à la série de photographies de Jean-Luc Chapin sur des champs de tournesols dévastés –, avec les mots et les livres comme pires ennemis, devient une quête absolue du vide, alors que Madeleine elle, dans les mêmes pas, est engagée dans une éperdue quête du plein, du savoir.
    Ce roman, rompt, paradoxalement beaucoup moins qu’il pourrait paraître, avec l’œuvre antérieure. Pour la première fois sans doute Allain Glykos tient les siens à distance et cette façon de faire le révèle peut-être encore plus, encore mieux. Cette œuvre là est-elle le début de quelque chose, la fin de quelque chose… en tous cas, elle montre, comme jamais, à quel point Allain Glykos est un écrivain de premier plan qui demande à ses lecteurs toute leur attention. Pour la première fois, également, la portée politique du travail d’écriture d’Allain Glykos est nette et sans arrière-pensée. « Le soleil n’a que la largeur d’un pied d’homme » dit Héraclite, Glykos et Antoine en sont la preuve noire et rouge. « Je vais où je suis, je suis où je vais. » Oui.

     

    L’Escampette éditions
    BP 7 – 86300 Chauvigny
     

  • Les Fleurs de mai de Ventadour


    c580e5500032bf6c01e04fad3a1afe02.jpgWilliam S. Merwin
    Les Fleurs de mai de Ventadour
    Version française de Luc de Goustine
    17x21 ; 160 p. ; 18 € isbn : 2.86577.251.9

     

    La rencontre avec Ezra Pound a dix-huit ans – même dans un hôpital – changea sans doute la vie de William S. Merwim (né en 1927 à New York) puisque le poète lui conseilla l’étude et la traduction de la lyrique médiévale, et dans l’occitan des troubadours. Quelques années plus tard, l’auteur de la Renarde (chez le même éditeur) acheta une maison sur le Causse quercynois… voici comment on se retrouve dans un bain de langue inattendu lorsque l’on naît américain du Nord. Voici comment, quelques années plus tard, on répond à une commande de la National Geographic en écrivant un livre de voyage lié à son lieu de prédilection et voici que les éditions Fanlac ont l’excellente idée de la publier en Français dans la très bonne traduction de Luc de Goustine. Ainsi « dans une éclairicie entre les averses d’une matinée de fin de printemps », nous voici amené à suivre les traces de Guillhem – comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, fils d’Aliénor, croisé, roi de la langue, grands passeurs de chants devant l’éternité – en compagnie d’un poète américain qui peut nous en remontrer sur la connaissance de la terre, des hommes et de la poésie… Un beau voyage à entreprendre en ce début d’automne, en écoutant le chant du feu dans l’âtre et si on a pas de cheminée, cet élégant volume nous nous le fera aisément croire pendant 156 pages. Ainsi, « Ventadour ne sera plus sans chanteur ».

     

     

    Fanlac
    12, rue du Professeur Peyrot, BP 24002 Périgueux www.fanlac.com

  • Édith Azam : la poésie comme défibrillateur

    044676ac1846d14eaa13455edcac05c8.jpegIl y a le sourire des poignets & son report dans un vieux cahier d’écriture, un vieux cahier d’écriture plein de bulles & d’amour & de transfert… l’histoire d’amour d’une bouche écorchée…
    Édith Azam est un drôle de loustic. Létika Klinik un drôle de livre. Je ne sais pas comment on va le lire ce livre, comment on va la lire Édith Azam qui a le cœur qui bat comme celui des oiseaux. Comment on va lire le Perrier qui fait des bulles & les médicaments qui cailloutent, les zécureuils, lé zoiso, les zoizozécureuils & les oiseaux-biscottes, Gros Matou & Mauricette… ce qui tangue, qui fait coexister ce qu’il y a de plus simple, de plus signifiant aussi & ce qu’il y a de plus subtil & de plus inventif dans cette langue qui est celle d’Édith Azam.
    Cette langue se fait dans les bulles, dans la bouche, dans l’écriture du sourire des poignets, les yeux, les yeux bleus. Cette écriture qui nous regarde & nous demande de la regarder, a une incroyable manière d’exister, de respirer, d’aspirer & de souffler, d’ébranler le monde & donc le lecteur, de l’éprouver par ricochets successifs & de plus en plus vifs, nets, tranchants jusqu’à la noyade, à l’asphyxie.
    Édith Azam travaille le récit au présent d’une expérience personnelle. Ce que nous lisons est un poème rendu au point de rupture, juste avant la libération – provisoire – du poète, de la femme, d’un qui serait l’accueil – l’écueil ? – de l’autre.

    Il faut voir & entendre Édith Azam lire ses textes pour saisir tout ce qu’il y a de juste dans son approche absolument naturelle du texte, de la voix & du corps, une seule personne, une totale unité, le révélateur de soi-même à soi sans fin, personne devient cette personne, celle-là, toute de fragilité, apeurée mais rapide comme un écureuil,  légère comme un oiseau, solide comme la mer qui jamais ne s’arrête, comme une fille qui n’aime pas qu’on lui coupe la parole.

    Jamais installée, cette poésie est un objet verbal résolu – absolu ? – qui retravaille le monde, en l’agrégeant autour de la possible existence d’une plus grande légèreté. Pour cela l’écrivain aura du faire le travail d’une qui est un & qui doit retrouver le féminin partagé loin de l’aile orange mais tout de même, hui, dans le transfert des yeux bleus de la psychiatre à travers un accord-désaccord où chacun dit bien, entend bien, l’illusion du même & reconnaît en chacun ce qui fonde l’incommunicable.
    C’est à vif, toujours un beau paquet de nerfs – souple pourtant – & absolument archaïque, sans confort, sans concession, ni calcul. Cette poésie, qui vient de très loin pour nous toucher très près, est celle d’une vraie présence, physique & mentale qui bouleverse, à tout le moins, le monde qui l’entoure aussi cliniquement désordonné soit-il.
    D’une richesse sonore détonante, arc-boutée à une énergie qui se régénère sans cesse d’envoyer les syllabes vers l’autre, la poésie d’Édith Azam agit comme un défibrillateur pour les cœurs les plus abîmés & même les plus secs.


    Létika klinik par Édith Azam
    48 pages, 14X19, 10 €, isbn : 2-9524151-6-1

    http://dernier.telegramme.free.fr/ 

  • Conversations dans le Loir-et-Cher

    Nous partons quelques jours vers des horizons campagnards.

    Une visite à l'Escampette d'abord. Une visite à Fontevrault ensuite. Puis nos bois et prés de petite Sologne.

    Un album avant de partir : Un voyage à Madrid et de nouvelles images de papillons.

    Lisons, lisez ! Par exemple, Gérard Haller, Fini mère (Galilée) et les livres de Gertrud Kolmar, Susanna, la Mère juive et Lettres (tous dans la collection de poche de Christian Bourgois, la Mère juive ayant été publiée initialement par l'ami Jean-Pierre Boyer) dont je vous parlerai à mon retour…

  • Madrid avec Juan Benet

    04f68a9cf807350efe8e6989dbc68b2c.jpeg« Durant ces quelques années, toute ma vie se déroulait dans la rue Alarcón : j'habitais avec ma mère non loin du carrefour de la rue Alberto Bosch, et un pâté de maisons plus loin, au carrefour de la rue Espalter, je me rendais tous les après-midi chez José Gallego Díaz, suivre un cours de mathématiques. Et quand mon corps refusait une heure d'études de plus, je prenais la rue Alarcón pour aller me promener au Prado ou dans les alentours, ou bien je poussais jusqu'à l'avenue Alcalá pour prendre un café au Lyon. Ce quartier était – et reste encore – le plus harmonieux, le plus paisible de tout Madrid, si empreint de civilité que même le Musée des Armées fait la sieste derrière ses batteries hétéroclites (et il n'était pas incongru de voir des militaires secouer une descente de lit à la fenêtre, tôt le matin), une combinaison très réussie de monumentalité, de nature, et de vie de quartier. Il est si bien conçu pour l'arrivée du printemps qu'un jour – fin mars ou début avril – l'air s'y sature d'un parfum unique produit par la communauté des myrtes et des fusains du Prado, le chèvre-feuille de l'Académie, tout le jardin des Plantes, l'orme des Hiéronymites et les magnolias de la rotonde de Murillo, un parfum que je n'ai senti nulle part ailleurs. Il ne dure pas plus de quinze jours. À la même époque, un vol serré d'hirondelles parcourt à tire-d'aile un circuit aérien en forme d'ellipse, de l'Académie aux Archives Diplomatiques, par derrière les clochers de Saint-Jérôme, entre les paratonnerres du Musée. Il doit s'agir d'écoliers pensionnaires d'une des nombreuses maisons de culture du quartier, dont le régime d'internat est si sévère qu'en hiver il est hors de question de les voir dans la rue, et ce n'est qu'à l'arrivée du printemps qu'il leur est permis – entre neuf heures et dix heures le matin et de six à sept l'après-midi, à condition qu'il y ait dans le ciel des zébrures violettes et orangées – de voler à l'extérieur. Et ce sont certainement des écoliers très appliqués, de ceux qui se défoulent à la récréation, à grands cris et dans des courses folles, comme si, conscients de la brièveté de ces moments de détente, ils se voyaient obligés à forcer leurs tendances enfantines pour se dédommager des longues heures de contraintes studieuses. De l'avis de plus d'un dans le quartier, leur surveillant général n'était autre que don Luis Astrana Marín, parce que dès qu'on le voyait arriver, avec son chapeau à la Fregoli, son porte-documents volumineux, et son air de sévérité réfléchie, contrôlée et intransigeante, devant l'entrée des Archives Diplomatiques, les oiseaux disparaissaient, rappelés en classe, sans doute, par une imperceptible sonnerie du haut des cieux. »

    Juan Benet, Signe de Baroja, in L'Automne à Madrid vers 1950, traduit de l'Espagnol par Monique de Lope, Noël Blandin, 1989.


     

    Ces quelques lignes de Juan Benet – (Madrid 1927 - 1993), que j'ai rencontré à Poitiers avec Michel Chaillou, il y a bien des années, et dont les livres et l'amitié m'acompagnent –, qui, je l'espère, vous tiendront compagnie pendant mon cours séjour à Madrid où nous logerons dans ce quartier.

    Bel été à tous.

    Juan Benet :
    * L'Air d’un crime, roman (Minuit, 1987 ; U.G.E., « 10-18. Domaine étranger » n°2856, 1997).
    * Tu reviendras à Région, roman (Minuit, 1989).
    * L’Automne à Madrid : vers 1950, chronique (Noël Blandin, 1989).
    * Une tombe, nouvelle (Minuit, 1990).
    * Baalbec, une tache, nouvelles (Minuit, 1991).
    * Dans la pénombre, roman (Minuit, 1991).
    * La Construction de la Tour de Babel, essai (Noël Blandin, 1992).
    * Agonia confutans, théâtre (Minuit, 1995).
    * Treize fables et demie (Passage du Nord-Ouest, 2003).
    * Le Chevalier de Saxe, récit (Passage du Nord-Ouest, 2005).
    * Une méditation, roman (Passage du Nord-Ouest, 2007).

  • Rien qu'un homme

    a0c755610877186e49578d2f1a8ad5a6.jpgRobert Walser
    Petits textes poétiques
    Traduit de l’Allemand par Nicole Taubes
    Gallimard, 178 p. ,15 €


    Kleine Ditchtungen : Petits textes poétiques. C’est la traduction la plus juste qui soit, mais, en France, coller poétique dans un titre équivaut à un suicide commercial, c’est d’autant plus courageux et Walser en a vu d’autres… Les convaincus d’avance commencent à former une belle famille et ils ne seront évidemment pas déçus à la lecture de cette nouveauté, en Français, de l’auteur de L’Institut Benjamenta (Jacob von Gunten) ou des Enfants Tanner.
    Promeneur essentiel, Robert Walser, qui a lui-même ordonné cet ensemble en 1914, invite le lecteur à le rejoindre sur les sentiers d’un monde modeste mais où il trouvera, sans aucun doute, une place pour rêver, une place pour exister.
    Dans ce monde, on peut apercevoir des femmes nues sur des nuages en forme de cygne, fondre pour des sourires qui valent des baisers, s’établir sur une île, qui a « la beauté et les charmes d’une jeune fille en fleurs », un jour « beau comme un enfant souriant dans son berceau ou dans les bras de sa mère ». Un monde de neige, de forêts, de promenades, d’auberges, de rencontres… C’est un univers dont les personnages possèdent une « nature délicate » et le caractère « d’un enfant tranquille, bien élevé et rêveur », ils ont seulement besoin « d’un tout petit bout d’existence où [ils leurs] soit permis de se montrer utile[s] à [leur] façon, et de la sorte de se sentir bien ».
    Évidemment, il y a ce monde là, mais avec Robert Walser rien n’est jamais aussi simplement simple. Entre sainteté et rage, la personnalité du poète est insaisissable. Il faut s’y résoudre, et s’abandonner à ce qu’il parvient à nous livrer de lui et de nous. Une grandeur, une légèreté, une violence aussi, un cristal limpide, une épure de langue et une ivresse de langue. C’est de grâce oui, qu’il s’agit, ici, d’une montée vers la plus belle des métamorphoses, celle de l’homme en homme. Ce désarroi de n’être rien qu’un homme est ici au travail, c’est la grandeur de cette œuvre à nulle autre semblable.

  • Hélène Mohone, une réconciliation

    1539363069fd27f1f66a2401e9837a9f.jpgLongtemps, j’ai cru qu’Hélène Mohone était née en Afrique.

    Et si elle a vécue au Cameroun, au Sénégal, et bien l’état-civil, les hasards de la vie de son médecin de père l’ont fait naître à Bordeaux.

    Plus tard elle s’est mise à écrire.

    Cette écriture, ce travail d’écriture, s’est, bien sûr, nourri de l’enfance en Afrique, mais aussi de ses séjours en Roumanie et en Nouvelle-Calédonie.
    Elle chante aussi – elle a même suivi aux conservatoires de Bordeaux, Saintes et Angoulème une formation de chant classique –, elle écrit pour le théâtre, elle fait des travaux plastiques épatants, et a suivi des cours aux Beaux-Arts. Elle a monté une association artistique « Reportage » qui proposait des expositions de peinture, des performances et des concerts, ainsi que des activités audiovisuelles. Bref, elle n’arrête pas.
    Elle vient de terminer De loin, un livre de poésie. Elle a écrit trois pièces de théâtre dont l’une, Si près des champs, a été retenue dans le répertoire des Nouvelles Écritures théâtrales à Paris en 2001. Elle a publié dans de nombreuses revues : L’Insulaire, 2001, Le Fram, L’Arbre à paroles, Le Journal des poètes, Poésie première, Épistoles de montagne, Le Passant ordinaire. Elle a obtenu une bourse d’encouragement à l’écriture du CNL dans la section Poésie.
    Elle écrit… l’écriture est une sacrée histoire avec laquelle on ne finit pas lorsque l’on s’y engage. Il ne fallait pas commencer. Si, il le fallait, écrivait Beckett. Oui. Il le fallait. Il le fallait cet engagement, cet entêtement, cette façon de ne pas baisser les yeux

    Le Cœur cannibale

    Lorsqu’elle a publié le Cœur cannibale – qui d’ailleurs a disparu de ma bibliothèque, si on pouvait me le rendre… d’avance  merci – en 2003 à la William Blake and Co., lorsqu’elle a publiée le Cœur cannibale donc, nous venions juste de nous croiser et ce livre m’a incité à l’approcher un peu plus.
    Étrange premier livre d’une étrange jeune femme que ce Cœur cannibale. Dans une langue rare, économe, chantante, proche de l'imprécation, scandée comme une danse des origines, c'est à la compréhension, à la connaissance, d’un monde très ancien et absolument nouveau, que nous invite Hélène Mohone, qui avait déjà publié un texte sombre et remarqué, Corpus triste, dans le n° 42 du Passant ordinaire, avais-je alors écrit dans Lettres d’Aquitaine.
    Bien plus, ce poème là inscrivait son auteur dans une tentative d’appeler le monde par son nom, le seul. D’épeler le monde et comment il nous contient, comment nous nous battons avec lui, comment nous le cajolons. Un livre qui ne parle pas à tort et à travers, mais, au contraire, resserre sa langue lentement autour de ce qui est essentiel en elle, en nous, ce qui nous fonde, nous empêche de disparaître.


    L’Enfant africaine

    En 2006 paraît L’Enfant africaine, sous-titré justement, je l’ai évoqué plus avant à propos du Cœur cannibale, Corpus Triste, ce second livre d’Hélène Mohone, embarque son lecteur dans un univers résolument personnel qui prend  sa clef à la hauteur des chants qui ont bercé son enfance africaine. Livre douloureux, livre résolument ancré dans ce qui fonde l’être, dans la douceur et les effrois de vivre, de grandir, de vieillir, dans les difficultés de la maladie (la maladie de la mort), livre où l’enfant souriant « sera là jusqu’à disparition ». « Elle – nous dit, la narratrice –, a cédé à la maladie avec volupté pour sentir à nouveau la vie avant la mort, sentir la vie atteinte nommer l’instant de vie avant la disparition. » Et voici la charnière, le point nodal, le point de rupture aussi de ce mince livre : l’enfant petite et l’enfant trop vite grandie sont ici réunies, assemblées, séparées, disjointes, non pas par la narration mais par la vie même. La souffrance de l’une est dans les joies de l’autre, le monde n’y peut rien, on vit avec soi-même jusqu’au bout et ici, seuls les singes nous réveillent et on peut fourrer ses doigts dans les « bonnes mamelles un peu racornies, aux poils drus et longs » de la maman  – parce que maman est partie et que papa tire les cheveux en les peignant. L’Enfant africaine est une longue histoire d’amour et d’abandon. L’exil, l’amour, la maladie y sont les révélateurs de racines perdues, pour qu’à la fin, l’espoir d’une réconciliation des corps et des âmes soit envisageable. Hélène Mohone publie là un livre salvateur et bénéfique dont on gardera longtemps à l’oreille le chant très beau modulé du plus primitif à l’étonnamment moderne. Une et multiple, l’enfant africaine d’Hélène Mohone déplie la mélopée des voix de sa souffrance.
    C’est un grand livre, c’est un livre qui nous réunit avec l’enfant en nous, qui nous permet de vieillir tout seul, c’est un de ces livres que l’on oublie pas parce qu’on est tenté souvent d’y revenir.
    Et c’est pour ça que j’aime Hélène Mohone et ce qu’elle écrit – ce qui est à mon sens la même chose – parce que j’y reviens toujours, parce que je recommence toujours et que, finalement, c’est recommencer qui est beau.

    Bibliographie
    L’Enfant africaine « corpus triste », L’Amourier, 2006
    Le Cœur cannibale, William Blake and Co, 2003


    http://helene.mohone.free.fr/

     

    Merci à Danièle Caillau pour la photographie 

  • Marek Bienczyk, Tworki

    bca1f2aa7460ee001f361dcfdf81df42.jpgMarek Bienczyk
    Tworki
    Traduit du polonais par Nicolas Véron
    Coll. Denoël & d’ailleurs
    14x20,5 ; 272 p. ; 20 € ; isbn : 2.207.25630.8
    On l’attendait ce nouveau roman de Marek Bienczyk paru en Pologne en 1999. On l’attendait tant que l’on craignait presque d’être déçu. Que nenni ! Un grand livre, voilà ce que le résident de la Prévôté à Bordeaux, à l’automne 2004, nous envoie par-dessus les frontières.
    « C'est du dessous de ma paupière, c'est du fond de la rivière que ces mots sont venus au monde. Au commencement, oui, était l'écriture, de hautes lettres trop serrées, disgracieuses, qui se disputent la place et entravent l'envol de la phrase. L'un dira que les mots ne se pressent guère d'atteindre le point, l'autre que quelque chose les retient, et tous diront, moi le premier, qu'en vérité ils voudraient pouvoir encore reculer, rebrousser chemin, mais qu'il n'est plus temps. Il faut leur offrir une dernière chance de remplir la ligne, de respirer à pleins poumons d'une marge à l'autre, maintenant que tout est consommé, ou que rien n'a plus d'importance », ainsi commence ce roman qui se déroule en Pologne, à Varsovie, à Tworki – qui est le nom de l’hôpital psychiatrique de la capitale polonaise – pendant la Seconde Guerre mondiale. Et Tworki, l’asile de fous, devient un asile tout court pour quelques-uns : Jurek saucisson-sec, Sonia, Olek, Danka, Janka, Marcel, Rubens, Zorro et Antiplaton…
    Dans une langue remarquable d’invention, de rythme, truffée de rimes internes rares et d’allitérations – le traducteur a du réellement en baver –, Marek Bienzcyk propose une vision de l’Histoire inattendue et absolument significative de sa vision de l’homme et du monde. L’empathie est ce qui gouverne l’œuvre de cet écrivain rare qui nous montre qu’un peu d’amour peut changer bien des destins courus d’avance. Tout de sensibilité retenue, de compassion affectueuse, de dérision pertinente, Tworki nous parle de nous, d’un nous fraternel et mélancolique, d’un nous naturellement heureux, ce nous rêvé qui dans ce monde en guerre permet à ces êtres d’échapper à l’horreur. Mais la tragédie domine trop ce monde pour que l’on puisse lui résister toujours. Car ce monde où les malades traînent en pyjamas rayés est à une épaisseur de feuille de papier de celui des déportés – qui n’est déjà plus le monde d’être celui de l’horreur. L’hôtel Polski est bien là, terrible piège, le ghetto, les insurrections, la résistance, oui, tout cela a bel et bien existé à deux pas de Tworki où l’on pouvait croire que la vie file sur les rails du petit train de l’amour… mais l’Histoire rattrape toujours les histoires. C’est à cela, à cette embellie et à cette déroute, que Marek Bienzcyk nous fait assister, mais on aura compris qu’il nous donne, à chaque pages, toutes les raisons de croire encore que l’amour, l’amitié, une certaine légèreté et une certaine ironie valent mieux que tous les cynismes, les calculs, et les plus viles volontés de puissance.

  • Sophie Chambard, boîtes à papillons, exposition du 15 mai au 8 juin 2007, château Bonnefont, Talence

    c4d96813e4f5238abfa9765416d826ef.jpgChère Toi : Il faut se pencher pour continuer à vivre. Ce sont les premières lignes du jour. Ce n’est pas une mince affaire. Le visage tourné vers l’autre, une chance, une façon de garder le monde habitable, les plaisirs & les jours… Le visage tourné vers l’eau, je résiste, puis me laisse entraîner : battements d’ailes, battements du cœur qui résiste à l’anéantissement, vivre, contre l’oubli, envoyer des messages vers l’autre, une petite tentative pour figer le temps. Oui. Je m’exalte. Permets-moi de me perdre à mon tour. Il faut toujours garder une ouverture, un papillon peut s’y engouffrer.  Tout ce qui est proche dans tes boîtes, le vert, les feuillages qui bougent & que l’on ne perçoit pas puisqu’ils sont de l’autre côté du regard. Tes boîtes sont pleines de tous les mots que chacun a écrit, que tu as su attraper, qui sont devenus les tiens, à toi qui nous les restitues. Le papillon ne tombe jamais des mains, on l’aura remarqué. Crac ! obturé. Rien n’a bougé. Rien n’a bougé sauf l’amour. Un couple d’amoureux dans le paysage, nuée de papillons, on voit bien qu’ils sont sous la protection l’un de l’autre. C’est une histoire d’amour. «Mets tes petits bras, là, tout autour de mon cou, on ne pourra peut-être pas les dénouer» dit l’un ou l’autre à l’un ou l’autre. Il faut en convenir, y consentir, ces papillons sont des messages. Une page d’amour + une page d’amour + une page d’amour…  Quelque part, tout près du cœur. La lettre d’amour, rien d’autre. La lettre d’amour commencée il y a longtemps, une réflexion sur le temps, sur l’image, sur l’écriture, sur l’image & l’écriture de l’autre. Oui, comment le temps s’écoule… tel les éphémères dans le jardin des âmes, épouvantés de se trouver en lieux sauvages & étranges sans aide & secours de personne. Comment on devient soi-même, comment… S’écrire est une destination, s’aimer est la destination. Cette façon de dire : «Jamais je n’oublierai cette journée.» «Maintenant je sais où je suis.». Cette façon de s’étrangler de rire & aussi de pleurs puisque l’amour hésite entre conséquence  & inconséquence. Cette carte postale en boîte est une invitation à la correspondance amoureuse – to be affected with excessive love, love tenderly –, il suffit d’ajouter l’adresse ou, mieux, de la porter soi-même à destination en ayant l’air de rien. Peu importe cette autre histoire – cette autre intrigue – c’est la nôtre, c’est notre Histoire. Peu importe, si on nous demandait de brûler nos lettres nous avons les tiennes qui les contiennent toutes. Jamais notre histoire ne fut si jeune qu’entre tes mains. Jamais notre amour ne fut si jeune que dans tes boîtes, que dans les ailes de tes papillons, toutes espèces confondues. Tu nous écris, c’est ce qui compte, ce qui donne l’allure du monde – infime est ce qui sépare, un souffle ( a touch, a touch, écrit James Joyce ), ce n’est que cela, que fait donc la cohorte des anges ? –, la langue la plus charnue qui soit, la langue qui contient le plus grand nombre d’informations qui soit, des informations sur notre état. Un jour, je me souviendrai de la scène, je m’y perdrai au présent, c’est cela que tu nous répètes encore & encore, discrètement mais sans hésitation. Cette mémoire se souvient de nous, découpe nos fidélités aussi bien que nos infidélités & les colle à notre avenir où l’enfance est un rêve d’enfant. Nous ne pouvons pas nous tromper, nous allons vers la rencontre. Partout où nous sommes tes papillons nous précèdent, ils sont toujours frais & libres alors que nous sommes à bout d’arguments. Ils ne connaissent pas de décalage horaire, pas de mauvaises routes, pas d’incidents techniques. Ils ont le temps que nous n’avons pas. On les collectionne puisqu’ils vivront après notre disparition, qu’ils nous représenteront dans un monde où nous ne serons plus. Toutes les couleurs, toutes les matières, toutes les langues, toutes les philosophies sont les leurs. Ils racontent tout ce que nous ne pouvons pas dire, tout ce que nous ne pouvons pas comprendre, tout ce que nous ne pouvons pas savoir : Seul, nu, en cœur, en vue … Étoile errante. La merveille et l’obscur. Comme tout serait simple alors. Si tout pouvait n’être qu’ombre. Ni être ni avoir été ni pouvoir être. Du calme. La suite. Attention. Il n’est pas difficile de fermer les yeux, de ne plus trouver la face du jour, de multiplier les fragments d’obscurité. Se persuader que l’on est enchanté. Et après ? Amiral, nous avons un peu dérivé, ai-je dit. Encore ? dit-il. Cela en effet nous arrivait souvent. La seconde caravelle disparut aspirée par la grande mer océane. Amy Delurès envoie un baiser à son papa qui la photographie. Pourtant notre histoire est unique – plaisir, souffrance, folie, musique, secret, énigme, langues & sexes mêlés –, pourtant notre correspondance est unique – phrases, sens, énigmes, folies, langues & sexes mêlés –, pourtant nous vivons avec un bruit très particulier, unique, dans l’oreille, celui de notre cœur, celui de notre sang qui pulse, qui nous rappelle que nous sommes encore vivants. Qu’importe, nous vivons dans la langue même & c’est cela qui, ici, est exposé. La langue, la vie de la langue. La langue, l’histoire de la langue, le passéprésentfutur de la langue, un portrait de la langue en boîte de papillons. Papillons de papier, papillons d’enfance, papillons de rêve, papillons… ces papillons ne s’attardent pas dans les bois, dans les jardins, dans les haies, ils habitent entre les lignes de nos histoires, entre le rire & l’oubli, entre le symbole & le mystère, entre le réel & la folie du réel, entre le doux sentiment & le phantasme cru… Ils sont le lien entre générations, entre époques, ils interceptent les discours familiaux & les utilisent pour en restituer le meilleur, non sans une certaine ironie, une tendre ironie. Ils ne sont pas du côté de la haine, de l’injustice, de la concentration des pouvoirs, du parjure, de l’ignoble, tout au contraire ils nous entraînent vers ce que nous avons de plus partageable, de plus compassionnel. En deux mots, trois images, quatre bouts de papier, beaucoup de savoir faire, de sensibilité & d’enthousiasme, avec un sentiment esthétique net, une vraie intelligence du réel, à la juste jointure entre affectivité & réflexion sur l’art en soi, c’est à une correspondance, un autoportrait, un journal, une façon de calendrier… en un geste prodigieusement elliptique qui nous donne en même temps le monde, le texte et l’image, ce qui est dit dans le non-dit, ce qui est perçu dans l’invisible, ce qui est commun à chacun et qui est soudain révélé à tous, que tu nous invites à partager & ce partage est résolument utile & prodigieusement sincère car ces évènements n’eurent lieu à aucun moment, mais existent toujours.