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Un nécessaire malentendu - Page 91

  • Autofiction ? Une page du jour.

    Cet homme fut un monstre de lâcheté et d’ignorance.
    Voilà ce qu’il a fait graver sur sa pierre tombale. Pierre noire et froide, pierre convenue, pierre imbécile de cimetière ni tout à fait pareille, ni tout à fait une autre, nous sommes identiques devant la mort répètent, reniflent, les bien-pensants de droite, de gauche, du centre et du reste…
    ¿ Por qué no te callas ?, a-t-il crié à son reflet, à son double inversé, dans la glace, ce soir d’un automne aussi lugubre que le fonds de la casquette d’un dictateur modèle courant.
    Et sur cette plaque de granit lustré, noire comme la pierre idiote que l’on a posé sur la tombe de Marcel Proust au Père Lachaise à des fins de réfections, sur cette page d’un livre noir moins drôle qu’une page de Tristam Shandy, moins profonde qu’une encre lithographique, moins dure que le cœur d’un sans cœur, il se recueille sur lui-même. Vaguement. Il se recueille vaguement. Que se recueillerait-on sur soi-même sans craindre ses propres remarques, les pires car si elles ne font jamais très mal sur l’instant, elles durent souvent plus que celles des autres, les intrus, les faux-amis, les jesaistout, les chefs, les sous-chefs, les moinsquerien et les plusquetout… pareil, tout pareil, tous pareils.
    J’aurais du la faire fabriquer en calcaire de Bourgogne, ça a tout de même une autre gueule, pense-t-il. Cet artisan auxois m’aurait gravé un beau Didot, ah merde, ça aurait ressemblé à quelque chose, à une page, voilà à une page, mais ça…
    Je veux juste avoir la paix, pense-t-il. Pas des cachets roses ou des cachets bleus, pas des simulacres ou des contournements, pas des remèdes, pas des béquilles, pas des bons sentiments, pas des effusions, juste la paix sous la dalle.

    1238074837.jpg

      

  • Philippe Lacoue-Labarthe

    « – Ayant traversé le gravier qui borde la maison (même bruit de tempête non survenue), j’ai marché jusque vers le fond du jardin et je me suis arrêté près du tas de terre et de cendre que tu connais, peut-être pour regarder, par-dessus la clôture, les vagues collines, la plaine. Ce n’était pas encore l’hiver, mais il faisait froid, très froid. (C’est la première fois que je séjournais en cette saison dans ce pays qui n’est pas plus le mien que n’importe quel autre et que je connais mal, en dépit de tout.) Les animaux n’avaient pas encore bougé. Il ne s’est évidemment rien passé, mais je savais que cela m’était déjà arrivé : je le savais, l’ignorant : je reconnaissais cette nouveauté absolue, ce ruissellement, cette fatigue.
        Non, je n’étais pas interdit, mais d’une indifférence sans limite : je pouvais mourir. »
    Philippe Lacoue-Labarthe
    Phrase
    Coll. Détroits, Christian Bourgois, 2000
     
    439589.JPGEn façon d’hommage à Philippe Lacoue-Labarthe à l’occasion de la rencontre organisée, pour la parution de la revue L’ANIMAL qui lui est consacrée, le vendredi 23 mai à la librairie Kléber à Strasbourg par Isabelle Baladine Howald (son nom soit loué pour l’éternité & un jour), avec Jean-Luc Nancy, Claire Nancy, Hélène Nancy, Bernard Baas, Jean-Christophe Bailly, Philippe Choulet, Sylvie Decorniquet, Michel Deutsch, Francis Fischer, André Hirt et Isabelle Baladine Howald.

    L’Animal N°19-20
    printemps 2008, 29 €
    Cahier Philippe Lacoue-Labarthe
    (sous la direction de Philippe Choulet et d'Emmanuel Laugier)
    Textes de :
    Jean-Luc Nancy - Jean-Christophe Bailly
    Philippe Choulet - Emmanuel Laugier
    Michel Deutsch - Walter Benjamin - Hélène Nancy
    Clemens-Carl Härle - Jean-Pierre Moussaron - Sylvie Decorniquet
    Patrick Hutchison - Francis Fischer - Philippe Beck
    Isabelle Baladine Howald - André Hirt - Bernard Baas
    Dessin de François Martin - Mario et Federico Nicolao
     
    *
    Philippe Lacoue-Labarthe
    [ L’Afrique… (entretien)
    “ Détroits ” - Hölderlin, deux poèmes de la folie
    Traduction et histoire – Hölderlin (entretien)
    La forme toute oublieuse de l’infidélité - Bye bye Farewell
    D’un “désart” obscur, remarque sur Adorno et le jazz
    Monogrammes X - Le Baudelaire de Benjamin : l’utopie du livre
    Syberberg : de l’Allemagne après Hitler
    Le cinéma comme relais de l’idée nationale
    Logos et techné - De la clarté
    Au nom de l’Europe - Éloge, sur Guy Debord
    Phrase X
    ]
     
    &
    Le Simple
     
    Emmanuel Laugier / Au Hasard Balthazar [Robert Bresson]
    Guennadi Aïgui - Joël-Claude Meffre - Jean-Paul Engélibert / Les idiots [Lars von Trier] - Emmanuel Darley - André Hirt / Un cœur simple  [Gustave Flaubert]- Mathieu Provansal
    Bernard Sève - Eva Gerlach - Bruno Fran - Stéphanie Ferrat - Fabio Pusterla

  • La Symphonie du loup, Marius Daniel Popescu

    772533361.jpg« Les âmes des vivants et les âmes des morts sont de douces marionnettes. La chose la plus extraordinaire est que tu as compris que les marionnettes se font bouger les unes les autres. Chaque marionnette fait fonctionner d’autres marionnettes et ainsi de suite. Il n’y a pas de marionnettes sans importance pour les autres marionnettes. Tu as compris que tu es aussi une marionnette et tu cherches non pas à t’affranchir de l’état de marionnette, chose impossible, mais à ne pas utiliser cet état de fait et à le laisser s’atrophier par manque d’exercice. Chaque fois que la marionnette qui est en toi veut s’exprimer, tu t’abstiens de prendre position, tu t’éclipses, tu te retires, tu n’interviens pas et la marionnette se meurt dans sa soif inassouvie. »
    Marius Daniel Popescu
    La Symphonie du loup
    José Corti, 2007

     

    1890235781.jpgVoici un livre surprenant et qui annonce la naissance d’un écrivain.
    Marius Daniel Popescu est roumain de naissance (1963) et il vit en  Suisse aujourd’hui. Il écrit en Français. Pour l’anecdote, il est chauffeur de bus à Lausanne quand il n’écrit pas, mais je l’imagine très bien écrire à chaque terminus, le carnet sur le volant.
    Il a obtenu le Prix Robert Walser pour ce premier roman.
    La Symphonie du loup est composée de 146 mouvements, sans chapitre, coulée d’un bloc mais animée de variations et de changements de gammes assez détonnants.
    Dès l’ouverture sur la mort accidentelle du père on est saisi par une densité d’écriture assez prodigieuse, proche souvent de la transe chamanique, ou du rythme des prédicateurs dans les parcs londoniens. Mais Popescu n’a rien à vendre si ce n’est son humanité joyeuse même dans les pires moments.
    Le souffle qui anime cette symphonie semble inépuisable, tournant d’un narrateur l’autre, éclairant les jours d’une vie simple sur terre, entrelaçant  « je », « tu », « il », afin d’atteindre à une réelle universalité complexe, vive, rugueuse et joyeuse.
    La Roumanie, la dictature roumaine, est le décor de ce roman bouillant, passionné et passionnant, vif, enthousiaste, qui nous montre un personnage tour à tour petit-fils, fils et père dans une Europe en devenir, avec les langues et les cultures en partage pour construire une terre possiblement vivable où demeure le doute, où le suicide est possible certes, mais où une solution est toujours envisageable tant que l’on a envie de vivre d’un rien, d’un rire et d’un souffle léger sur la joue.
    Il faut lire cette Symphonie du loup parce que les livres indispensables sont devenus rares comme un jour sans Sarkozy.

     


    PS : Malgré ce grand livre le blogueur est fatigué, plombé, il va donc se reposer, si possible, pour une durée indéterminée.

  • Papillons de mots sur le site d’Emmanuelle Pagano

    “ Sophie Chambard a une drôle de manie d’art : elle met des faux papillons en boîte. Papillons de papier, papillons de mots.

    Il y a quelque temps, son mari lui a donné une image du manuscrit des Mains gamines téléchargée chez Armand Dupuy, et, comme elle avait aimé Les Adolescents troglodytes, elle en a fait des papillons… ”

     

    PapillonsSophie1.jpg

     
    La suite sur http://lescorpsempeches.net/corps/?p=249
  • Alain Veinstein

    1674955260.jpg« Quand j’avais une journée devant moi, je me croyais habile à embrasser l’étendue, à écrire sous la menace, à vivre dans la peur… J’aimais une enfance pour écrire mon amour… J’ai dû écrire le mot deux ou trois fois, sans peur… Un peu de mort, sans peur, renforçait mes phrases… J’aurais voulu écrire jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne sous un nom… »
     
    55454525.JPGAlain Veinstein
    Ébauche du féminin
    Lithographies de Claude Garache
    Coll. Médiane, Maeght éditeur, 1981

  • Emily Jane Brontë

    FORT JE RESTE,
    AYANT SOUFFERT

    2132735231.jpg « Fort je reste, ayant souffert
    Haine, colère et dédain ;
    Fort je reste et ris de voir
    Leurs assauts livrés en vain.

    J’abjure, Esprit de maîtrise,
    Les mesquines voies humaines !
    J’ai le cœur et l’âme libres :
    Fais-moi signe, et je te suis.

    Sache-le, sot insincère
    Qui méprises le dédain,
    Ton âme passe en bassesse
    Les plus vains d’entre les vers.

    Dans ton fol orgueil, poussière,
    M’oses-tu prendre pour guide ?
    Je veux être avec les humbles,
    Les hautains ne me sont rien ? »
    novembre 1837

    Emily Jane Brontë
    Poèmes
    Traduit de l’anglais par Pierre Leyris
    Poésie/Gallimard, 1963

  • John Keats

    « CETTE MAIN VIVANTE, À PRÉSENT CHAUDE ET CAPABLE »


    « Cette main vivante, à présent chaude et capable
    D’une étreinte fervente, ne manquerait, serait-elle froide
    Et dans le silence glacial de la tombe,
    De hanter tant tes jours et tant transir les rêves de tes nuits,
    Que tu souhaiterais ton cœur tari de sang
    Pour qu’en mes veines à nouveau puisse la vie rouge affluer,
    Et toi calmer ta conscience. Regarde, la voici
    Vers toi, vers toi je la tends. »1517300839.jpg

     

     
    John Keats
    Seul dans la splendeur
    Traduit de l’anglais
    et présenté par Robert Davreu
    Coll. Orphée, La Différence, 1990

  • David Gascoyne

    CHAMBRE D’HÔTEL*

    « Lorsque la lueur d’un triste dimanche,
    Glissant à travers la pluie, argentait
        La pierre grise de la ville,
    Couchés côte à côte, sans une parole,
    Au-dessus des quais pavés de cette île
    Qu’entourait le flot en crue de la Seine,
        Nous contemplions fixement
    Un plafond aride et blanc — comme si
    Nous étions pour toujours ensevelis
        Au fond d’un chagrin taciturne.

    Et quand, à la fin, j’ai tenté de prendre
    Ta main dans ma main, et de t’incliner,
        Visage étranger, vers mes lèvres,
    Tu as quitté d’un bond le lit, tu as
    Traversé la chambre et, debout, longtemps
    Regardé sous le rideau de la vitre
        Les platanes qui se penchaient
    Pour interroger comme toi le fleuve,
    Question sans réponse et tout aussi vieille
        Que l’infortune de la terre. »   

    1418073011.2.jpgDavid Gascoyne
    Miserere
    Traduit de l’anglais par Jean Walh,
    Jean-Jacques Mayoux, Armand Guibert,
    Yves de Baiser, Jean Mambrino, Pierre Leyris,
    Pierre Ostev Soussouev, David Kelley,
    François Xavier Jaujard*, Paul Le Jéloux
    Postface de Robin Skelton
    traduite par Michèle Duclos
    Granit, 1989

  • William Shakespeare

    988896814.jpgSonnet LXVI
     
    « Lassé de voir, je crie, vers la mort reposante : voir le mérite né en état mendiant, voir la chose de rien jovialement accoutrée, voir la plus pure loyauté trahie méchamment,
    Voir les honneurs dorés honteusement placés, et la vertu des filles violées grossièrement, voir la juste perfection injuste dégradée, et voir la force par voie boiteuse évincée,
    Voir l’art fermer la bouche sous l’autorité, et la doctorale folie donner ses ordres au talent, et la simple vérité passer pour stupidité, voir le Bien captif, au service du Mal, commandant.
    Lassé de voir — je voudrais m’en aller — si ce n’est que mourir laisserait seul l’aimé. »
    William Shakespeare
    Sonnets
    version française de Pierre Jean Jouve
    Mercure de France, 1969, rééd. Poésie/Gallimard, 1975

  • Tom Raworth

    TOUT UN COUP



    25008304.2.jpg« l’alphabet se demande
    ce qu’il devrait faire
    le papier se sent inutile
    les couleurs perdent leurs nuances

    pendant que toutes les notes de musique
    ne jouent plus qu’en bleu

    au bout du lac
    un peuplier lombard
    ombre la terre
    parsemée de duvet de cygne

    voilant la rumeur
    de la route du sud

    au dessus dans le ciel de nuit
    éparpillées au hasard
    les étoiles cessent leur mouvement
    les coquelicots ne dansent pas

    dans l’herbe immobile le long
    du chemin personne ne marche »
    Tom Raworth
    Cat Van Cat
    traduit de l’anglais collectivement par le Comptoir 4
    cipM – les Comptoirs de la Nouvelle B.S., 2003

  • William Blake

    L’ANGE


    772533361.2.jpg« Je fis un rêve ! Que peut-il vouloir dire ?
    J’étais une Reine vierge
    Sous la garde d’un doux Ange :
    Malheur ingénu ne fut jamais leurré !

    Je pleurais nuit et jour,
    Et lui essuyait mes larmes,
    Je pleurais jour et nuit,
    Et je lui cachai la joie de mon cœur.

    Alors il ouvrit les ailes et s’envola ;
    Et le matin s’empourpra, rougissant ;
    J’essuyai mes larmes et armai mes craintes
    De dix mille lances et boucliers.

    Avant longtemps mon Ange revint :
    J’étais armée, ce fut en vain,
    Car ma jeunesse avait fui
    Et ma tête était grise. »
    William Blake
    Chants de l’expérience
    traduit de l’anglais par  M. L. Cazamian
    in Poèmes
    Aubier-Flammarion,1968

  • Malcolm Lowry

    VIEUX CARGO DANS UNE VIEILLE RADE


    « Il n’y avait pas de nom et nous accostâmes à minuit.
    Les cinq filles qui riaient ensemble à la lumière du réverbère
    Bras autour de la taille, dans le parking aux ombres mortes,
    Ne purent ranimer nos cœurs empoisonnés de salure marine.
    Il n’y avait pas la moindre beauté dans cet endroit.
    Mais au réveil matinal, découvrant comme à portée de main
    Le quai, la route, le marché, le cadran de l’horloge amie,
    – La physionomie d’une terre nouvelle –
    Notre drapeau flottant printanièrement au mât du bureau de poste,
    Chaque pierre étant comme la promesse d’un courrier de femme
    Aimée, tandis que montaient à la chaîne de notre coque rouillée
    Les automobiles à forme géométrique étincelant dans le soleil –
    Ce fut urgence pour Christian de quitter le Marais Désespoir,
    Pour Crusoé d’apercevoir le pas de Vendredi dans le sable. »

     

    400929044.jpgMalcolm Lowry
    Poèmes choisis de Dollarton
    traduit de l’anglais par Jacques Darras,
    in Romans, nouvelles et poèmes
    traduits par Georges Belmont,
    Jacques Darras, Jean Follain,
    Clarisse Francillon et Suzanne Kim.
    Présentation, notices, notes
    Jacques Darras
    La Pochotèque, 1995